11 juillet 2006

Susan Minot

Extase - Susan Minot

Le point le plus interpellant du roman, sans conteste, est cette scène unique d'un homme et d'une femme dans une chambre, lui allongé sur le dos, le regard vague, elle la bouche collée à son entre-jambe... Et la scène de se dérouler du début à la fin, en quelques 160 pages ! Une prouesse ! Pourtant ce roman de Susan Minot n'est pas un livre érotique, loin de là. Certes il se gratine quelques détails "sexuels" mais qui tournent évasivement autour de cette (longue) fellation, histoire que le lecteur n'oublie pas le décor ! Ensuite, c'est une histore somme toute banale : un homme et une femme viennent de se retrouver, il ont été amants par le passé mais leur liaison a capoté. Lui vivait avec une autre, et elle exigeait de plus en plus d'exclusivité. Leur histoire s'est soldée de hauts et de bas et chaque réconciliation s'est conclue au lit ! Pour le coup actuel, lui vit séparé de cette Vanessa depuis plusieurs mois, elle s'en doute un peu, mais ce qu'elle ne sait pas c'est qu'il ira la retrouver après, comme toutes les autres fois.

Alternativement l'auteur fait partager les pensées de Benjamin et Kay. Ils sont tous deux plongés dans le flot de leurs réflexions, et nullement à leur affaire ! Pour l'expliquer, l'auteur laisse entendre qu'il est préférable d'avoir la tête ailleurs pour rester concentré ! C'est comique, mine de rien ! Mais aussi pathétique, car quand Kay défile le film de son aventure avec Benjamin, c'est une parade misérable de promesses non tenues, de lendemains tristounets, de solitude et d'isolement. Et quand elle croyait s'en être détachée, c'est plus fort qu'elle, ce type, elle l'a dans la peau ! Alors que pour Benjamin, homme bouffi d'auto-suffisance, il se rend compte combien il n'a jamais cessé d'aimer Vanessa, sa compagne depuis onze ans ! Pour Kay, les choses semblent être différentes : plus de l'affection, à la limite de la pitié, presque de la fatalité !Aaaahh ! les hommes sont inconstants ! "Les hommes et les femmes ne sont pas foncièrement différents dans leurs attentes, mais quand même... Ce sont leurs attitudes qui diffèrent. " Susan Minot souligne le cruel paradoxe entre l'homme et la femme, leurs façons respectives d'appréhender toute relation humaine et l'acte sexuel. C'est effarant, certes dérangeant par instants, mais c'est bien écrit, bien pensé.

(Susan Minot est entrée en littérature à 30 ans avec Mouflets. Ce premier roman, traduit en douze langues et qui lui valut le Prix Femina étranger 1987, évoquait avec une tendresse pudique les moments forts, sans doute autobiographiques, d'une enfance américaine dans une famille nombreuse. L'écrivain a ensuite exploré divers registres dans les nouvelles de Sensualité, l'intrigue romanesque de La Vie secrète de Lilian Eliot, le bilan d'une vie de Crépuscule, où elle entrecroisait avec virtuosité plusieurs thèmes autour du temps qui passe et du bonheur évanoui.)

Crépuscule - Susan Minot

En presque 350 pages, Susan Minot fouille les mémoires de son personnage, Ann, mourante d'un cancer à seulement une soixante d'années. Des pensées confuses et alimentées par la fièvre de sa maladie, Ann hallucine, bredouille, rêve.. Elle replonge en juillet 1952, quelques jours dans sa jeunesse, pour le mariage de son amie Lila. A cette occasion, le petit groupe d'amis dont elle faisait partie se retrouve dans le Maine, à rire, compter fleurette et cultiver l'insouciance. Elle y fait la rencontre d'Harris Arden - différent du reste. De cet amour, Ann n'en guérira jamais car seuls deux ou trois jours ont soldé cette amourette. Pourtant elle marquera à vie ! En dépit du temps, des maris, des enfants et de la maladie !

J'ai souvent considéré Susan Minot comme l'héritière de Sylvia Plath et Laurie Colwin. Un regard vif, une plume sèche mais enlevée, des histoires simplettes avec toujours une profondeur d'âme chez les héroïnes... Souvent l'introspection donne de l'eau au moulin et dans le cas de "Crépuscule" le procédé est assez bien mené, même s'il peut déconcerter certains lecteurs. La narration n'est jamais linéaire, les voyages dans le temps incessants. Les souvenirs de 52 ont un peu une image fitzgeraldienne, donc assez plaisante et batifoleuse. Pourtant il y a un drame derrière cette palissade. On le découvre vers la fin, évidemment. Par contre, j'ai moyennement apprécié la référence à "Wuthering Heights" d'Emily Brontë, lorsque Ann s'exclame "Harris, c'était moi" - j'avais le goût du sacro-saint "I am Heathcliff". Bof ! Seul point négatif, et aussi un sentiment de quelques longueurs. Sans quoi, ce roman se lit de bout en bout avec plaisir !

La vie secrète de Lilian Eliot - Susan Minot

Avec ce roman, Susan Minot m'a fait instinctivement penser à Edith Wharton et Henry James ! L'histoire débute à Boston, en 1917, chez une famille bourgeoise, les Eliot. La jeune Lilian, réputée sérieuse et raisonnable, fait la connaissance de Walter Vail, un new-yorkais en visite chez des proches. Il doit partir en Europe pour la guerre mais promet à la jeune fille de lui écrire et lui revenir. Car tous deux se sont découverts, lui a fait palpiter le coeur de la jeune fille, elle vit le reste de ses jours dans l'attente de son retour. Lequel ne viendra jamais ! Walter est resté en France... dit-on. D'abord le coeur brisé, Lilian va apprendre à tourner la page et s'unir à Gilbert Finch, un garçon silencieux et mélancolique. Mais Walter Vail n'est jamais très loin !..

La trame de "La vie secrète de Lilian Eliot" repose sur les mêmes schémas jamesiens et whartoniens - une rencontre entre un séducteur et une jouvencelle, une séparation et des élans du coeur que des centaines de pages tentent d'apaiser ! Susan Minot se fait ce plaisir, surtout au début. Car j'ai trouvé que vers le milieu du roman (qui correspond à la seconde partie) l'histoire va s'alourdir et perdre de cette influence (qui rejaillira vers la fin, ouf!). Toutefois, contrairement à H. James et E. Wharton, Susan Minot n'a pas du tout cultivé l'ironie et le cynisme, non plus d'humour. Tout est au premier degré, exaltant et divagant. Lilian aime, se tait, souffre, pleure (?). Gilbert est son pansement, pour le meilleur et pour le pire. Walter est la figure vile et prédatrice, autour d'eux la petite société bostonienne du début du 20ème siècle, pincée et raffinée, guindée et constipée... bref un délice !

355 pages


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