09 juillet 2006

Ornela Vorpsi

1. Le pays où l'on ne meurt jamais
Albanie est à la fois sensuelle et cruelle, c'est aussi "un pays où l'on ne meurt jamais", contrairement à ces eldorados au-delà des mers qui rendent les exilés plus vulnérables, plus mortels également. Mais avant de s'envoler vers un ailleurs plus capitaliste et libertaire, la jeune Ornela Vorpsi se penche vers son enfance et son adolescence dans un pays à la gloire de la Mère-Parti, qui cingle les fesses des jeunes filles de coups de fouet, lave la bouche de savon noir si trop de mysticisme en sort, couvre les corps d'un short noir immonde pour le sport ou d'une vareuse étriquée pour l'entraînement militaire. On cache les filles, on cache les formes naissantes - on les protège des tentations, des perversions, d'une destinée de "putinerie". Ou bien c'est la noyade dans le lac de Tirana. Trop d'amour, ou manque d'amour... certaines jeunes filles ont l'indélicatesse d'être enceintes sans fiancé, sans mari. L'avortement étant interdit, les faiseuses d'anges opèrent un sale boulot qui entraînent souvent vers la mort. Ou bien l'autre solution pour les femmes est de se faire coudre et recoudre ! Cela se passe de commentaires...
La jeune Ornela, ou Elona, Eva, etc..., grandit auprès d'une mère à la beauté somptueuse. Un jour le père disparaît. On le retrouve dans une prison au nord du pays, roué de coups, amaigri et les dents en moins. Au lieu d'attendre le retour d'un mari finalement violent et volage, la mère divorce et retourne vivre chez ses parents, avec une petite, ébahie, éblouie, séduite par tous ces va-et-vients. L'enfant subit non pas une mais deux matrones qui lui reprochent d'être la fille de son père ! Le seul recours : la maladie et les contes de Grimm. Et il lui en arrive à cette petite, dont le regard, innocent et éclairé, met en scène des situations cocasses et risibles, au détriment de ses acteurs. Au total, quinze tableaux dessinent le paysage d'un pays et de ses habitants - les Albanais sont ainsi un peuple fier, amoureux et souvent contrit, également viril, adorateur de la sensualité et de la beauté. Ce premier livre d'Ornela Vorpsi condense à merveille toutes les particularités de son pays natal, par le biais de souvenirs désenchantés mais cultivés avec humour. J'ai davantage aimé celui-ci que son deuxième livre, Buvez du cacao Van Houten .
Babel (poche), 150 pages. Sinon, disponible chez Actes Sud.

2. Buvez du cacao Van Houten
Qui n'a pas entendu parler d'Ornela Vorpsi il y a deux ans vivait probablement dans une tanière ?! La belle Albanaise avait déjà paru un recueil de nouvelles, largement autobiographique, qui avait remporté son succès d'estime. Une nouvelle fois, elle privilégie la forme des nouvelles avec "Buvez du cacao Van Houten" et je dois avouer que j'ai flashé sur ce titre. Voilà pourquoi j'ai voulu lire celui-ci avant l'autre (paru en poche). Pour le titre, l'auteur s'explique en quatrième de couverture et dans sa première nouvelle du même nom. Passons...Pour moi, lire ce livre a finalement eu le même goût que boire du cacao : c'est amer ! Ornela Vorpsi tisse des contes, des légendes, des anecdotes qui courent dans son pays qu'est l'Albanie. Elle met en scène des hommes et des femmes qui n'ont souvent plus rien à perdre, qui sont au bord du gouffre et qui tentent le tout pour le tout : vendre ses maigres trésors pour aller à Rome, se séparer de son fils qu'une mère dédie à la France, quitter l'être aimé parce qu'il est trop beau, être dévoré par ses rêves ou devenir fou. A trop rêver ou désirer l'impossible, celui nuit gravement (à la santé) !
Parmi le lot des treize nouvelles, j'ai aimé "Le prix du thé". Convaincue de savourer un produit rare et d'une exceptionnelle qualité, plus que raffinée, la narratrice a l'estomac noué par l'excitation ! Mais elle constate aussi, par dépit, que son corps n'est finalement pas habitué aux choses merveilleuses !.. et j'en passe. Celle-ci apporte une fraîcheur et une dérision qui parfois font défaut à certaines autres. C'est bien l'un des problèmes de ce livre : l'amertume coule en abondance, aussi c'est bien appréciable de lire quelques pointes d'humour pince-sans-rire pour alléger la donne. La tension est omniprésente, les Albanais semblent être un peuple doué pour le fatalisme, l'accablement et les mystères de disparition, les envies d'ailleurs et d'exil. Même si la lecture n'est pas un calvaire, c'est quand même un soulagement d'en sortir ! J'avais le sentiment de m'enfoncer dans la noirceur des âmes, des destinées de ces gens ordinaires, décidés d'en sortir, mais accrochés à leur sort. Une teinte douce-amère, effectivement. Ma rencontre avec Ornela Vorpsi se conclue en scepticisme, et je lirai "Le pays où l'on ne meurt jamais" un peu plus tard. Mais quand même ! Y'a un truc caché derrière le style de la belle, pour de vrai.
Actes Sud, 157 pages


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