11 juillet 2006

Philippe Claudel

1. J'abandonne
Dans le confessionnal d'un hôpital, deux hommes reçoivent une femme, maman d'une adolescente de 17 ans. Cette femme va apprendre le décès de sa fille par ces "hyènes", ainsi qu'ils se surnomment. Et en effet, ils vont lui "sauter dessus", lui sortir un formulaire pour le don d'organes et même si cette procédure relève pour eux d'une mécanique routinière, cette fois-ci sera différente. L'un de ces hommes, le narrateur, est au bout du rouleau. Cela dure depuis quelques temps, amorcé par le décès de sa femme, livré seul avec un bébé de vingt-et-un mois, lassé par des dégoûts accumulés. Il souhaite "abandonner" son job, et tout le reste.

Car le ras-le-bol que met en scène Philippe Claudel est poignant, cru et déchaîné. Son personnage s'en prend à un lot de petits riens quotidiens, depuis une affiche de Bigard, à la retraite de Céline Dion, aux yougouslaves dans la rue, au beaufisme, à la vulgarité et la violence bon marché. Et cette addition d'exaspération, ce trop-plein de lassitudes le marginalise de plus en plus, l'éloigne du monde des vivants, dans lequel tente de l'agripper son adorable petite fille. Vers la fin, l'accélération de la narration permet des révélations chez le caractère de cet homme désemparé. Toutefois son discours met également en péril le choix du don d'organes. Personnellement je ne pense pas que c'était l'intention de l'auteur, il s'est trouvé "embarqué" dans l'engrenage de son action. Or le vif du sujet n'était pas d'ébranler les décisions finales des familles éplorées, plutôt d'assister au naufrage d'un homme, lui-même confronté et traumatisé par ce choix, mais qui perd pied autrement. J'ai trouvé ce livre fascinant. Morbide, mais très poignant, et direct en plein coeur, malgré quelques passages rasants et déroutants.

Folio, 111 pages

2. La petite fille de Monsieur Linh
Monsieur Linh a quitté un pays en guerre, un village en ruine et ravagé pour un ailleurs autrement plus étrange. Une ville, immense, bondée de gens qui vont et viennent, où l'on parle une langue différente de la sienne. Qu'importe pour ce vieil homme, il a auprès de lui sa petite fille, Sang Diû. Un bébé de quelques semaines qu'il a sauvé, après la mort de ses propres parents, dont le fils de Monsieur Linh. Homme seul et égaré, il s'est réfugié dans un dortoir avec d'autres exilés mais il ne s'intègre pas auprès d'eux. C'est en se baladant dans les rues de la ville qu'il fait la connaissance d'un homme, gros et imposant, Monsieur Bark. Entre eux deux, une bienveillante relation s'établit...L'histoire de Monsieur Linh entraîne le lecteur d'entrée de jeu ! C'est la magie des mots, du style de Philippe Claudel, c'est la puissance d'une histoire sans tralala. Tout passe par l'émotion et la pureté. C'est ouah ! Au coeur du roman, la personnalité de Monsieur Linh est lumineuse, bien qu'étant un être marqué et désamparé. Pourtant cet homme est d'une grande noblesse, sa petite fille nichée dans le creux de ses bras, calme et silencieuse et on souhaite au vieillard des jours meilleurs. L'auteur, fidèle à ses proses écorchées, n'en reste pas là... et c'est un "ravissement" qui laisse sans voix !
Extrait :"La tête de Monsieur Linh est grosse de trop de fatigues, de souffrances, de désillusions. Elle est lourde de trop de défaites et de trop de départs. Qu'est-ce donc que la vie humaine sinon un collier de blessures que l'on passe autour de son cou ? A quoi sert d'aller ainsi dans les jours, les mois, les années, toujours plus faible, toujours meurtri ? Pourquoi faut-il que les lendemains soient toujours plus amers que les jours passés qui le sont déjà trop ?"

Stock, 160 pages

* Les petites mécaniques
(cf plus loin)


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