11 juillet 2006

Françoise Lefèvre

1. Un soir sans raison

Un matin, Françoise Lefèvre reçoit par la poste une brochure sur les maladies liées à la perte de la mémoire, dont la maladie d'Alzheimer. Aussitôt l'intitulé du circulaire ouvre son livre, telle une musique lancinante sur une femme qui fugue, "un soir sans raison". Tout part : l'auteur se raconte, décrit son travail, son acharnement à s'isoler, se couper pour trouver la mélodie des mots si nécessaires pour ouvrir et commencer un nouveau livre, même lorsque cette formule magique lui tombe dans les rayons d'un supermarché !... Elle a peur de ses pertes de mémoire, des ses égarements, peur de ne plus se souvenir des moments sacrés de sa vie. Elle se revoit plus jeune, à trente ans, dans la rue avec ses enfants. Elle se voit à quatre-vingt-dix-sept ans, dans un hospice, attendant la venue d'un jeune homme qui l'aide à écrire tous les mots qui bouillonnent encore dans sa tête mais qu'elle ne peut plus écrire.

Tout ça et encore ?.. Pourrai-je résumer un livre comme celui-ci ? J'ai dernièrement lu une lettre d'amour de Sabine Bourgois pour Françoise Lefèvre (K Editions) et j'ai voulu connaître cet écrivain qui semblait si humaine, si amoureuse, si charnelle et sensorielle ! Pour une entrée en matière, dans l'oeuvre de cette femme, je suis enchantée ! Quelles poésie des mots, justesse des sentiments, rondeur des sensations ! J'étais transportée dans les voyages qu'exerçait l'auteur pour raviver sa mémoire, trimballée d'avant en arrière, sans moufter, ébahie, touchée et fort émue à l'évocation de l'abandon de ses enfants ! Ce livre a su me convaincre définitivement qu'il me fallait encore lire d'autres livres / TOUS les livres de Françoise Lefèvre. Si vous ne la connaissez pas encore, ceci est une chaude recommandation et la plus vive des invitations !
Editions du Rocher

2. La première habitude

Ce roman est autobiographique et rapporte les débuts amoureux de l'auteur avec un homme quelque peu ... ingrat ! Dans le roman, Françoise Lefèvre est Marie, compagne de Raphaël, peintre sans le sou, qui peine également à vendre ses toiles. Tous deux vivent une vie de nomades. De ville en ville, ils vont et viennent, lui peint, elle démarche pour gagner quelques sous, pour vivre. La vie n'est pas toujours rose, Marie raconte leur misère, dans des bicoques sans confort, parfois infestées de rats ! Pas toujours les moyens de se remplir le ventre, ni d'avoir chaud. Mais jamais ils ne s'installent, ils partent toujours plus loin chercher la fortune.
Le langage de Françoise Lefèvre est prodigieux, très pur et poétique, malgré les mille misères qui font leur lot quotidien. C'est avec recul qu'elle revient sur ce moment de sa vie. Elle est seule dans une petite chambre à la Bastille, sans ses enfants, et Raphaël est parti. Ecrire, pour elle, c'est survivre, c'est vivre aussi. Elle raconte tout ça avec souplesse et sensibilité. Elle dit l'amour, le dévouement, l'abattement furtif et la désillusion. Mais elle conclue aussi sur l'envie de s'en sortir malgré tout, d'être la plus forte et de ne plus dépendre de quiconque. Et même si l'histoire de Marie est sombre, son parcours douloureux, ce premier roman de Françoise Lefèvre est un coup de fouet contre la morosité et les bras baissés. C'est un formidable hymne (à la vie, à l'amour, à la force d'y croire encore et toujours) qu'elle nous offre là ! A LIRE, bien évidemment.
Grand Prix des lectrices de Elle 1974

3. La grosse

Autant le dire d'office, cette histoire de "La grosse" est très, très triste. Céline est garde-barrière dans un coin isolé de Bourgogne, elle vit seule, elle attend le retour d'un certain Roland de Roncevaux, son amant et le père de son enfant. Mais elle n'a plus que l'espoir et l'attente, car elle a grossi, elle est seule et a perdu son enfant. Son voisin et ami, Anatolis, rayonne ses jours sombres de sa présence et sa bonne humeur, mais l'homme est gravement malade et condamné.
La combinaison de leurs malheurs va servir de passer des derniers jours tranquilles, loin des autres et de leurs opinions grotesques et méchantes. Etre trop grosse, vivre en marge et ne pas se mêler à cette vile société font de Céline une pestiférée, qu'on pointe du doigt et insulte gratuitement. Plus les pages tournent, plus les ôdes à la nature et à l'amour heureux laissent place à la noirceur, à la désillusion, à la voie sans issue. Pour un peu, Céline devient la Marie-Madeleine de toutes les femmes anonymes qui se dévouent à une tâche sans le crier sur les toits. Tête baissée et silencieuse, Céline est une icône de grâce et de passion. La morale dans cette histoire rappelle les contes d'Andersen, surtout celui de La petite fille aux allumettes, quand la foule est désignée comme bête, méchante, cruelle et injuste. Aveugle et égoïste. Céline, elle, voulait juste un peu d'amour - c'était trop demandé ? Oui, hélas.Un roman triste, à conseiller aux fidèles de Françoise Lefèvre.
Françoise Lefèvre

4. Le petite prince cannibale

J'avais peur, en ouvrant ce livre, de me plonger davantage dans un "témoignage" sur la difficulté d'élever un enfant autiste, avec ce que cela comporte de pessimisme et d'abattement. Et puis, c'était sans compter sur l'extrême sensibilité de la plume de Françoise Lefèvre, l'écrivain et l'actrice de ce livre. Effectivement, son petit garçon Jean / Sylvestre a refusé de parler pendant des années, pousse des cris stridents, s'empêche de déféquer, ne sourit jamais, etc. Il ne voit pas, n'entend pas, vit dans son monde, à part. Pourtant, sa mère et lui forment un couple d'amour à la haine, et inversement, bouleversant et superbe. Même si ce qualificatif peut paraître déplacé, surtout après le déplorable constat de lire l'immense sacrifice, le don de soi et l'accablement de faire face à ce petit monstre, ce "petit prince cannibale", il n'empêche. Françoise Lefèvre dévoile tout, aussi bien son amour de maman, fort et invicible, mais aussi son ras-le-bol, sa rage et son désespoir. Lassitude, solitude et égarement, autant de mots pour qualifier son quotidien et les quatre premières années passées avec son enfant. Dur. Dur aussi, pour l'écrivain, de n'avoir plus le temps d'écrire un mot, de s'asseoir, de poursuivre son livre, de griffonner son petit carnet accroché autour de son cou. Son petit prince lui prend tout (son temps, son énergie, sa poésie) et, de ses propres mots, ne lui donne rien. Et encore ? A travers ce livre, on sent bien, tout de même, l'amour maternel qui n'est jamais tout rose, tout beau, tout parfait. Et pour la maman que je suis, j'ai bien tout compris, tout pris à la lettre, tout saisi et aurais bien voulu tendre la main à cette Françoise, sans dire un mot. "Ecoute le silence" !Dans ce livre, il y a plein de jolis passages - troublants, sensibles, honnêtes et flamboyants. Difficile d'en prélever seulement un. Je vous recommande alors de le lire et, de plus, de faire connaissance avec une certaine Blanche, personnage un peu effacé mais qui va grandir, plus tard...
Goncourt des Lycéens 1990
Lu chez Flo ! : : : clic clic clic !

Extrait : " Je me plains souvent de la difficulté d'écrire au milieu d'un tourbillon d'enfants, dont les exigences, l'appétit de vivre, les cris joyeux mais stridents font fuir les mots, les phrases naissantes. A cette dualité quotidienne enfants-écriture, j'ai développé une résistance à toute épreuve, un mode d'emploi dans lequel je privilégie d'abord les enfants. Si vivre sans écrire me semble impossible, écrire n'est pas la vraie vie. Et pourtant que serait mon existence sans ces instants volés aux miens ? Ce temps haché menu, ces heures minuscules où je ne peux guère me demander si j'aime ou non m'asseoir à cette table. Il faut le faire. (...) "

5. L'or des chambres

Bon, j'ai moyennement aimé ce livre, pourtant un livre de Françoise Lefèvre qui est un auteur que j'ai récemment découvert et fortement apprécié ! Mais c'est le constat navrant : je n'y ai pas trop adhéré, compris goutte, etc. D'ailleurs je déconseille à quiconque d'ouvrir ce livre pour "connaître" son auteur. Personnellement, je m'avoue "perdue" dans "L'or des chambres". C'est une lettre, en quelque sorte, adressée à un homme qui vient de prendre le train avec une autre femme. La narratrice vit alors l'absence, le manque - ne manque qu'un pas pour citer la mort ! Bref, elle se trouve chez elle, seule avec ses enfants, délaissée, malheureuse, mais surtout folle de douleur et du trou béant laissé par l'absence de l'autre. La femme s'ennuie, se terre dans un cimetière, rêve, pense à l'autre, lui écrit. Et de l'écriture, aussi, il est question. De son importance vitale, tout autant envahissante. Pourquoi écrire, ce n'est pas la vraie vie ? Mais sans la vie, pas d'écriture non plus. Vivre sans écrire est également inconcevable. "J'entre en écriture comme en religion" ! En bref, cette histoire se résumera donc à un chemin de croix d'une amoureuse malheureuse et abandonnée, qui voit le temps filer, qui se trouve seule avec son stylo et ses feuilles, son livre à écrire. Style toujours poétique et travaillée, mais contenu un peu creux et abracadabrant. Un peu décevant, dommage.
255 pages, Editions du Rocher.

Extrait : "Ce titre : "L'or des chambres", clos sur lui-même et, dirais-je, couché en rond comme quelqu'un qui voudrait s'endormir, je l'ai choisi parmi les mots qui reviennent sans cesse avant le sommeil, quand tout est calme enfin, et que nous captons sous nos paupières un peu de cet or qui fait de nous des chercheurs d'éternité.
Je n'accepte pas toujours l'écriture et me révolte. Parfois aussi je me rends pieds et poings liés, et m'étonne de ce que l'âme ou le coeur récite en moi. Je le nie, puis passe aux aveux."

6. Se perdre avec les ombres

Encore un livre assez circonspect, à considérer davantage en "oeuvre ou journal poétique" tant Françoise Lefèvre nous sert un texte fragmenté, ouvert à ses pensées, ses réflexions diverses, mais souvent redondantes, surtout lorsqu'on commence à lire l'intégralité de sa bibliographie. D'ailleurs, dans ce livre, j'ai le sentiment qu'elle tourne un peu en rond. Elle ne sait plus quoi dire, ayant déjà tout dit auparavant, elle se répète. Donc, dans "Se perdre avec les ombres", il est toujours sujet du temps qui passe, de l'absence ou la fuite de l'amour, du sentiment de vide, de l'écriture stérile et la détresse immense, envahissante dans la vie de l'écrivain. En novembre 2002, elle fête ses soixante ans, mais se sauve de chez elle pour se réfugier dans une petite chambre d'hôtel sordide. Comme souvent dans sa vie, les chambres ont eu leurs importances, elle s'en souvient... Aussi, elle fait le point, se coupe les cheveux et puis rentre pour retrouver ses enfants et les petits-enfants, qui heureusement la sortent de l'ombre où elle s'enterre hâtivement.Ce qui sauve ce livre finalement, c'est sa fin. Françoise Lefèvre évoque un secret de famille autour de son "véritable" père, un Allemand. Plus intéressant, le cousin de celui-ci était un fervent militant à la résistance nazie et un des membres des attentats loupés contre Hitler. J'aurais aimé qu'elle en parle davantage, ou pourquoi ne pas en faire un livre à ce sujet. Elle a déjà tellement fait le tour de sa propre existence, qu'elle creuse ailleurs, non ?.. Comme j'apprécie beaucoup cet écrivain, je n'aimerais pas croire que le meilleur est derrière elle - je veux encore être éblouie ! Ne désespérons pas...
198 pages, Editions du Rocher.


Extrait : "Mais le livre le plus lumineux, ne serait-ce pas celui dont on laisse les mots défiler sous nos paupières et qu'on n'écrira jamais ?"
Extrait : "Avant j'avançais avec l'amour. Les forces de l'amour.
Aujourd'hui, je tiens avec le souvenir de l'amour.
Pas même le souvenir. Une émanation. Une pensée qui ne m'appartient plus. Une sorte d'aura.
Je me sens sur une autre rive. Je ne sais pas comment j'y suis arrivée. Mais là où je suis, c'est triste. Je dois lutter pour que ceux qui m'abordent ne voient pas cette tristesse."

7. Blanche c'est moi

Il est nécessaire d'avoir lu "Le petit prince cannibale" pour commencer "Blanche c'est moi". Car Blanche est un personnage déjà aperçu dans le premier livre, une cantatrice esquissée entre les chapitres sur son fils autiste, une femme fuyant tout pour mourir, condamnée par une maladie de la peau. En fait, Françoise Lefèvre revient sur cette Blanche, un peu à la demande de ses lecteurs, rencontrés au hasard et qui semblent n'avoir pas saisi la nuance des deux rôles dans "Le petit prince cannibale" - entre la femme mère et la femme amoureuse, mais deux malheureuses, non ? L'écrivain tente donc d'y revenir, d'expliquer et surtout ressuscite Blanche ! (Mais pour ça, il faut attendre les toutes dernières pages du livre !!!)."Blanche c'est moi" donne l'impression de reprendre les points nébuleux du "Petit prince cannibale". Très honnêtement ! Car Françoise Lefèvre évoque l'homme à la redingote - pour elle, c'est clair, c'est Victor Hugo. Regards douteux dans l'assistance... qu'importe ! Françoise Lefèvre nous refait le tour de sa vie, tiens son enfance, ses années de galère à l'école, quand ses rédactions étaient raturées en rouge : "hors du sujet" ! Tiens donc !... Mais déjà l'auteur semble être ailleurs, donnant naissance à une certaine Céline Rabouillot - qui sera le personnage central de son prochain livre, "La grosse". Enfin bref, il y a dans ce nouveau livre de bons passages, intéressants et réfléchis, mais à d'autres moments c'est le fouillis, le patchwork des pensées, de moins en moins nouvelles, plutôt remâchées. Cela me déconcerte et mes lectures de Françoise Lefèvre empruntent insidieusement une contrée cahoteuse... A méditer.
116 pages, Actes Sud.


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