RENTREE LITTERAIRE 2005 (suite)
Je pense honnêtement que les lecteurs d'Olivier Adam peuvent se reporter sur Arnaud Cathrine : il y a une grande ressemblance entre les deux écrivains, un même univers... Et la coincidence a également voulu que tous deux sortent pour cette rentrée un roman autour du deuil et la perte d'une mère. Laquelle s'est suicidée, en sautant d'une falaise, laissant une famille désemparée et scindée. Dans "Sweet home", l'histoire est contée par les trois enfants, à dix ans d'intervalle. Lily a dix-sept ou dix-huit ans, elle entretient une complicité avec sa maman mais ne pourra manquer la sauver de sa dérive. A leurs côtés, il y a le frère jumeau, Vincent, et le petit dernier de trois ans, Martin, aussi le père et l'oncle Remo qui boit trop. Comment vivre après la mort ? Comment ça va la vie après la mort ?... Mal, très mal. Ce livre, c'est un peu un exercice de deuil : trois largués, trois désoeuvrés, qui tentent de survivre au naufrage. Entre les frères et soeurs, un dialogue de sourds va s'ouvrir : en partant, la mère a ouvert des brèches faiblement colmatées, des cicatrices mal cautérisées. Le constat sera amer, quelques vingt ans après : faire ce que l'on peut, avec un trou dans le ventre, devenir qui l'on croit bon devenir, avec cet enthousiasme gris... - "On aura beau dire, nos constructions hasardeuses ne parviennent pas à se passer d'elle... Il faut du courage et de l'amour autour de soi pour aimer la vie maintenant".Non, ce n'est pas gai non plus. Mais c'est fluide et cotonneux, on se berce dans ce drame familial, attendri par cette tribu d'éclopés. "Drôle de génération, on vous a donné toute liberté et vous voilà tous égarés à ne pas savoir qu'en faire, sinon tout et n'importe quoi..." - et c'est vrai, la peine existe, un peu rabat-joie et lugubre, mais il y a une étincelle derrière tout ça qui me donne à dire que c'est superbe !
Phase deux, 215 pages
Chasse à courre - Clémence Boulouque
J'ai toujours lu avec plaisir les livres de Clémence Boulouque, depuis "Mort d'un silence" et "Sujets libres", et je pensais renouveller cet enthousiasme avec son nouveau roman "Chasse à courre". Toutefois je ne cacherai pas ma déception : ce roman est cruel, mais dans un sens glacial, froid, implacable et qui vous laisse de marbre ! C'est l'histoire d'un chasseur de têtes, Frédéric Marquez, un moins de trente ans au parcours fulgurant, grandes écoles, embauche facile et prestigieuse... L'homme réussit tout ce qu'il entreprend, et surtout il veut ce qu'il y a de mieux, et exige le meilleur de lui-même. C'est bien le moins qu'il mérite, pourrait-on résumer en lisant son parcours. Mais aussi, c'est ce qu'il attend des autres, histoire qu'on le mérite davantage ! Parce que je le vaux bien, dit le slogan publicitaire - et bien c'est la devise de Frédéric Marquez. Egalement : "Donnez-moi la règle et je gagne" etc.. Quelques perles de petitesse brocardent ce portrait terrifiant d'un requin aux dents longues !
Toutefois dans cette histoire, un type est mort - un certain Richard Pétrel, dont on lit l'avis de décès à plusieurs reprises, sans savoir qui il est ! A moins de 100 pages de la fin, le mystère est toujours entier ! Alors oui, ça lasse et ça traîne. Personnellement j'ai retrouvé dans ce livre trop de déjà-vu, vécu autour de moi ou rapporté. Alors, j'attends autre chose d'un roman - que ça change ! Qu'on ne me flanque plus à la figure la "cruelle réalité de la vie"... Clémence Boulouque a voulu épingler cette génération de cadres hautement supérieurs (des hommes ou des femmes plus proches du firmament, sur leur mont de l'Olympe où l'on ne côtoie pas les demi-dieux ou le commun des mortels). Quelques critiques comparent ce livre à "99frs" de Beigbeder ou Bret Easton Ellis (cynisme et culte des marques), mais bon... Le personnage de Frédéric Marquez est très loin d'être sympathique, pourtant le roman est centré sur lui ! Donc, comment éprouver autre chose qu'un sentiment creux et désabusé pour "Chasse à courre" ? Je n'irai pas jusqu'à dire "flasque", comme je l'ai lu dans une critique... Toutefois, il y a du manque dans ce livre, et c'est gênant.
Gallimard, 237 pages
Harraga - Boualem Sansal
"Harraga" signifie "brûleur de routes", autrement dit l'exilé de son plein gré, qui quitte sa famille, sa ville, son village et son pays pour un ailleurs plus mirifique. Le Maroc, l'Espagne, la France, l'Angleterre... les "harragas" sont prêts à tous les riques pour atteindre l'eldorado et fuir l'Algérie qui saigne, souffre et n'offre plus rien. Surtout plus de rêves. L'héroïne de ce roman en sait quelque chose, car son frère Sofiane a tout quitté pour l'ouest et "brûler la route". Elle n'a aucune nouvelle de lui, si ce n'est qu'un jour elle reçoit la visite de Chérifa, une jeune fille de seize ans, enceinte jusqu'aux dents, envoyée par celui-ci. Lamia, elle, a trente-cinq ans, elle est docteur en pédiatrie, elle vit seule dans sa grande maison hantée par les fantômes du passé, et d'elle on peut facilement dire que c'est une vieille fille méchante, grincheuse et vilaine. Jalouse aussi de la pétulance de Chérifa qui déboule chez elle, chamboule ses habitudes et lui renvoie à la face sa cruelle solitude et le vide de son existence. Entre elles deux, la cohabitation est difficile, Lamia mène la vie dure mais finalement elle est très attachée à Chérifa. Du moins, avec sa langue de vipère qui bave trop, Lamia va commettre un impair qui fera disparaître la jeune Chérifa du jour au lendemain.
Et il s'en passe encore dans ce foisonnant roman, mais je me garde d'en dire davantage! C'est exaltant, passionnant, ça raconte du vrai, du beau, du touchant et ça met en décor une Algérie réaliste, tenaillée par l'islam nouveau, ses rigueurs et ses inepties. J'ai du mal à croire qu'un homme puisse être l'auteur de pareil roman ! Boualem Sansal s'est mis dans la peau d'une femme "aigrie, intolérante, méchante, querelleuse, intempestive mais romantique" - Lamia est tout ça et à la fois elle reste attendrissante, touchante et attachante. Elle dit les choses vraies, elle est cynique et franche, drôle aussi. C'est un beau portrait de femme. Et puis, son amour pour sa maison fait aussi partie d'elle. Ses fantômes, son voisinage, sa solitude cultivée avec minutie et jalousie... C'est une femme complètement seule, abandonnée par ses parents, ses frères, sans nouvelles du seul survivant de la fatrie. Normal qu'elle s'accroche à la Chérifa comme à une bouée ! Il y a dans le roman un instinct de survie qui concerne les clandestins, mais aussi les femmes d'Algérie. "Harraga" rend une très honorable peinture à tout ce petit monde. De la poésie aussi teinte l'écriture de Boualem Sansal... Pour une première approche de l'univers de cet auteur, je suis éblouie, complètement séduite!
Extrait :" Pour chaque homme de cette planète, il y a un livre qui pourrait tout lui dire comme une formidable révélation. On ne peut lire le livre, son livre, et rester soi-même. "
Gallimard, 270 pages
Le Ciel pour mémoire - Thomas B. Reverdy
J'ai trouvé ce deuxième roman de Thomas B. Reverdy plus opaque que son premier, "La montée des eaux". L'histoire commence par la disparition de Guillaume, sur Coney Island. Dans un restaurant non loin de là, sa bande de copains l'attend, tous conviés pour un repas-souvenir. Mais Guillaume fera faux bond, et cette nuit-là il va disparaître, sans laisser de traces. Deux ans après, il envoie une lettre de Rome. Thomas, le narrateur, part à ses trousses. Mais se souvenir de son meilleur ami le renvoie à se rappeler son adolescence et la mort prématurée de sa mère. Et le roman va traiter de ces idées : vieillir synonyme de trahir, aller de l'avant après une adolescence heureuse, se souvenir des belles choses et accepter tant d'autres !C'est un sujet assez ambitieux pour un jeune auteur de trente ans. Une nouvelle fois, l'histoire évoque la disparation et la mort. Thomas B. Reverdy semble être très marqué par ces thèmes, mais alors qu'il glissait une plume impeccable, de toute beauté et limpide comme l'eau claire dans son premier roman, "Le ciel pour mémoire" a quelques lacunes : des paragraphes flous, des manques, des confusions, des instants qui traînent... Ce roman n'est pas à la hauteur du précédent, toutefois j'accorde que l'auteur a beaucoup de talent et qu'il garde une place importante dans mes choix. Je vais continuer de le suivre, car sa petite musique me plaît !..
Extrait :" Sans doute les regrets sont-ils les souvenirs qui durent le plus longtemps. La mémoire est une dette insolvable qu'on contracte avec la mort. "
Le corps de la baigneuse - Philippe Authié
Malgré une alléchante quatrième de couverture, l'histoire du premier roman de Philippe Authié tombe vite à plat. Adam, peintre manqué, isolé dans une maison familiale dans un petit village d'Ariège, disparaît. Au bout d'un an, son cousin (le narrateur) débarque sur les lieux et prend un peu la place de ce dernier. Un crime avait eu lieu, non loin : une jeune fille, retrouvée nue, le corps au bord de l'eau, sauvagement tuée. Mais le plus macabre et flippant dans l'affaire semble être la tentative de mise en scène du crime par le coupable. Les photos et vidéos prises sur les lieux l'attestent. Adam avait été approché par le capitaine de la gendarmerie, en tant qu'expert en critique d'art. Son oeil avisé allait pouvoir guider l'enquête et donner une piste intelligente. Or, rien de sensé n'a cours dans cette intrigue ! Une jeune fille trop belle, dont le corps inspire plus d'un sentiment "d'émerveillement" au moment d'inspecter, un peintre qui disparaît, en laissant des carnets derrière lui, dans lesquels il se livrait à toute sorte de confession... A son tour, le narrateur reprend l'enquête à partir des mêmes éléments qui ont été confiés à son cousin : photos, témoins, etc. Les faits sont troublants, les découvertes ajoutent au désappointement et plombent une histoire qui part de plus en plus en queue de poisson !Pour un premier roman, "Le corps de la baigneuse" manque singulièrement de clarté, de simplicité, d'élan dynamique et de l'étincelle qui fait mouche. J'ai été très déçue par ce livre, j'ai trouvé qu'il était trop mou et trop alambiqué. Quelques relents de scandale flottent, certains passages surgissent et dénotent un manque de logique. Sans oublier que l'intention de l'auteur apparaît bien floue : roman policier, roman esthétique ou de l'importance de l'art dans un homicide ? C'est assez maladroit et laborieux.
Seuil, 200 pages
Le premier pas suffit - Xavier Houssin
Ce livre s'adresse à tous les lecteurs que nous sommes, qui un jour avons fait "la rencontre". Celle d'un auteur, le seul, celui qui vous berce et vous ouvre les portes, grâce à sa littérature. Cela vous marque, vous touche et vous agrippe jusqu'au bout. Pour le narrateur de "Le premier pas suffit", la rencontre a eu lieu - avec un certain Jean-François de La Harpe, poète, dramaturge du 18ème siècle, un peu obscur et oublié des contemporains, bien que membre de l'Académie Française. Aujourd'hui ses écrits prennent la poussière, sinon sont perdus dans les oubliettes du temps. Mais le narrateur a tout désencrassé, a fourni un travail de fouine, a cherché, déniché et retracé la vie d'un homme, d'un auteur dont le plus fameux livre s'intitule "Mélanie", sorte de mélodramatique de l'époque, qui poussait d'Alembert à verser de chaudes larmes pour un public aux abois, dans un quelconque salon privé, lors d'une lecture tout aussi confidentielle !.. Bref, le narrateur mêle ses investigations à ses souvenirs personnels, se sentant si proche de l'Homme qu'il lui donne du "tu". - "J'ai choisi de le suivre pour rattraper mon rêve. Je me laissais guider. Je découvrais sa vie. Une envie de savoir sa difficulté d'être. J'étais le réceptable d'un passé enfoui. Les livres. Les archives. Et les lettres rouvertes. Comme il renaissait à chaque découverte, inexplicablement, je me souvenais de tout".
Plus que pour l'intérêt de découvrir réellement qui est ce Jean-François de La Harpe, la lecture du nouveau livre de Xavier Houssin apporte des lumières, des étincelles sur le lien infime entre un lecteur et son auteur. Le sien. Il suffit d'une fois, d'une rencontre inopinée, un charme s'opère et le reste découle, rien ne s'explique... "Les livres et les mots nous emportent parfois. Loin. Si loin. Au centre de soi-même. On se perd. On s'enroule. Le tuteur et la tige. Page à page on retrouve ce que l'on n'attend pas". J'ai été très touchée par ce texte, tout composé de phrases très courtes, plus souvent des mots, des émotions. Nulle envie de composer de belles dissertations à n'en plus finir... C'est encore une fois un roman très court, mais je ne le regrette pas car je trouve que la force et la beauté de Xavier Houssin est cette signature concise mais essentielle. Le peu donne toute sa force, de plus ce livre est truffé d'anecdotes qui ne laissent pas insensible. C'est une belle ballade littéraire, c'est vrai... Poétique, en plus.
Buchet Chastel, 134 pages
Quand j'étais drôle - Karine Tuil
L'histoire du dernier roman de Karine Tuil raconte la mésaventure d'un homme qui a cherché à conquérir l'Amérique, en gros. Jérémy Sandre, ou Jerry Sanders, quitte une brillante carrière d'humoriste en France pour tenter sa chance à New York. Or, il devient la victime d'un enjeu géopolitique affligeant, l'entrée en guerre en Irak par les Etats-Unis, contre l'assentiment de la France. Bref, Jérémy est aussi un homme balourd et pataud, qui commet des impairs dans ce climat francophobe. Résultat : il se retrouve presque à la rue, sans cachet, sans spectacle, sans un sou et avec une fiancée qui se fait la malle.
Il faut également ajouter à son actif que l'homme doit gérer des dettes de jeu, des mensonges à sa famille, des conflits avec son ex-femme et la crise d'adolescente de sa fille. Trop pour un seul homme ? Non, car ce n'est pas tout. L'histoire débute en découvrant que Jérémy est emprisonné, accusé d'avoir tué un homme, et son histoire, c'est un peu sa déposition auprès de son avocat.
Ce que je retiens de ce livre ? Passionnant ! Intéressant, pétri d'humour, très dynamique - ce qui contraste avec le caractère pitoyable du héros. L'écriture est enlevée, on ne s'ennuie pas et les péripéties du personnage central ne cessent d'être pathétiques, dérisoires, mais finalement réjouissantes. Hélas, on se rit des malheurs d'un homme, et pourtant celui-ci a bien couru après ses misères ! Toutefois, il parvient, à l'aide d'habiles pirouettes, à renverser la tendance et se rendre attachant, héros malgré lui et victime d'un concours de circonstances malchanceuses. "Quand j'étais drôle" devient l'un des meilleurs romans de sa jeune auteur, Karine Tuil. Du plaisir, rien que du plaisir !
Grasset, 357 pages
En famille - Marianne Rubinstein
Mai 2002, Cécile et sa fille Jeanne assistent aux derniers jours de Louise, la mère et grand-mère, âgée de 92 ans. La famille se retrouve : les frères, André et Gaby, la soeur Suzanne, les enfants, petits-enfants, etc. Ils ont peu de jours pour organiser les obsèques, régler leurs humeurs et les dispositions de ces âmes changeantes, sans plomber la réunion de famille ! S'ajoute un souvenir de juin 1961, avec le retour de Gaby d'Algérie. Celui-ci retrouve sa petite soeur, surnommée Chiffon, encore bébé lors de son départ, et désormais plus mature, plus belle, plus mutine...
Ce que j'aime dans ce premier roman de Marianne Rubinstein, c'est son côté bref, épuré et chuchoté qui s'en dégage. Les personnages flottent, pensent, glissent, mais jamais ne s'écrient ou trépignent. Pourtant les émotions sont à fleur de peau, chacun s'agace, s'insupporte, et pourtant la famille demeure soudée jusqu'à l'enterrement de la mère et grand-mère. Pas un mot de trop, pas un geste déplacé. Et puis, à dessiner un bref panorama des pensées des uns et des autres, l'auteur permet ainsi de comprendre certains silences, car chez elle inutile d'épiloguer des pages entières pour cerner telle personnalité, tel différent ou tel secret. Et j'ai ainsi beaucoup aimé, lu d'affilée ce roman un peu trop court. Ce huit-clos familial m'a rappelé le souvenir de "Sept jours" de Valentine Goby, le soleil de Bretagne en plus, sans doute la poésie en moins. Mais "En famille" représente un très beau, très bon roman camouflé dans cette rentrée bigarrée !
Phébus, 122 pages
L'antilope blanche - Valentine Goby
En 1949, Charlotte Marthe débarque à Douala au Cameroun pour diriger une école moderne pour jeunes filles. Elle a trente-cinq ans et le coeur en miettes, brisé par un chagrin d'amour, qu'elle fuit, quitte à aller jusqu'au bout du monde, comme c'est le cas présent. L'histoire de cette "Antilope blanche" est la sienne, qu'on lit à travers ses cahiers, depuis 1949 jusqu'à 1961! Un bien beau parcours par cette femme volontaire et dynamique, résignée à pousser "ses filles" vers un avenir meilleur que celui d'épouse dotée et mère d'une ribambelle d'enfants.
Au début du roman, j'ai un peu peiné pour m'intégrer à l'histoire. J'avais le même sentiment qu'éprouvait le personnage - poisseux. La jeune femme débarquait là un peu contre son gré, donc n'était pas fatalement fascinée par la nouveauté, l'exotisme ni niaise sur ce dépaysement, les habitants du Cameroun, les coutumes des peuples et le microcosme de la société coloniale des années 50. A l'image de son récit, l'histoire commençait donc de manière un peu mélancolique et résignée. Les difficultés s'empilaient, le moral pas au beau fixe.. Pourtant j'ai lu jusqu'au bout car je me suis attachée à l'héroïne. Je pensais qu'il s'agissait d'un personnage réel et j'ai ainsi effectué quelques recherches avant la fin du livre. Et bien entendu, Charlotte Marthe est bien fictive, par contre son inspiratrice se nomme Charlotte Michel, tout aussi anonyme dans les manuels d'histoire, pourtant ce bout de femme a contribué modestement à l'épanouissement et l'évolution de la situation des jeunes filles au Cameroun.
Ainsi, Valentine Goby a creusé dans les archives, visité le pays et remué ciel et terre pour aller au devant de ce fascinant personnage ! Elle crée ainsi une Charlotte Marthe prise au coeur des tourmentes, qu'elles soient légères ou graves, dans un paysage post-colonnial de plus en plus vacillant. Pour moi, en fin de compte, j'ai beaucoup aimé ce roman, pourtant très différent de ce que l'auteur proposait jusqu'à présent. Je me suis installée progressivement dans l'histoire, j'ai vécu les hauts et les bas des personnages, preuve que ce roman est réussi car il a su incroyablement m'attacher ! De plus, la relation entre Charlotte et "ses filles", les fameuses Antilopes, est aussi le noyau dur du roman - c'est beau et c'est simple. Moi je n'en demande pas davantage !
Gallimard, 276 pages
La joueuse d'échecs - Bertina Henrichs
J'ai commis bêtement une méprise sur ce livre, je pensais lire un roman policier ! Et je me suis plantée, ou bien j'ai mal compris, ou bien je me suis trompée de livre, mais résultat : je suis un peu passée à côté ! "La joueuse d'échecs" raconte l'histoire d'une femme de ménage, mariée et mère de deux enfants, qui décide un jour de s'initier aux échecs. Sauf qu'Eleni habite une petite île grecque, retirée, repliée sur elle-même et ses habitants, et aussitôt cette lubie d'une femme de ménage qui joue aux échecs passe pour une excentricité, une folie ! Chacun s'empare de l'affaire, amis, voisins et famille. Bref, cela tombe dans le délire !
Heureusement le roman n'est pas long, 150 pages. Pourtant j'ai réussi à trouver quelques passages un peu à rallonge, surtout concernant le jeu des échecs. Et puis le démarrage est lent, pour moi qui m'attendais à une intrigue policière, les trente pages d'incipit ont paru incroyablement quelconques et ordinaires ! En fait, je suis plus déçue de moi qui avais espéré une lecture qui n'existait pas en fait. Ce n'est pas vers les qualités du roman que je vais débattre, il y a tout de même du bon dans "La joueuse d'échecs". D'abord le portrait de femme d'Eleni, sa famille, les rouages qui s'emballent autour du secret, des ragots et autres murmures autour de ce qui devient carrément UN personnage. Sauf qu'Eleni est une petite bonne femme humble et sans fantasme, à part de vouloir son parfum à elle, son "Eau sauvage". Elle est mignone dans son genre, sa détermination est assez comique et les aléas autour d'elle font souvent penser à des sketches, des farces de guignol. Aussi j'étais impressionnée de lire un roman rédigé en français par un auteur née en Allemagne, mais qui réside dans l'hexagone depuis quinze ans. Cet hommage à la langue qu'est la nôtre impose respect et chapeau bas. C'est juste dommage que, pour ma part, j'ai appréhendé une lecture différente de ce qu'elle était là, réellement, sous mes yeux.
Liana Levi, 150 pages
L'arrivée - Kim Doan
Un homme décide de rentrer dans son pays d'origine qu'il a quitté trente ans auparavant, à la suite du décès de sa femme correspondant à la naissance de leur fille. C'est d'ailleurs pour retrouver celle-ci qu'il accomplit ce voyage. Aussi, l'homme est désormais âgé, très malade et prêt à mourir. Pourquoi donc fait-il aujourd'hui ce travail de recherches ? Plus dans un esprit de rédemption, ainsi je le pense. Car franchement, pendant trente ans, cet homme ne s'est jamais soucié de sa fille, confiée aux soins de la belle-soeur. Ni lettre, ni photo, autant chercher une aiguille dans une meule de foin ! De plus, les gens qu'il connaissait à l'époque ont disparu, essuyé des bombardements, ont été éparpillés dans des hôpitaux de fortune. Bref, autant se résoudre à la mort de son enfant. Cela revient au même !
J'ai de la peine à apprécier un roman qui se centre autour d'un tel personnage - un homme qui tourne le dos à son enfant, lui reprochant presque la mort de son épouse, qui décide de revenir vers sa fille parce qu'il va mourir. Trente ans ont passé, c'est trop. Ce voyage vers le passé est plus un travail personnel et égoïste. L'homme puise en lui des réserves vitales qui s'amenuisent. Il n'est pas prêt à retrouver sa fille, dont il ignore le nom, le visage. Il s'imagine avoir une fille modèle, belle, le portrait de sa défunte. Il n'envisage pas le contraire, au pire il accepte d'office l'idée qu'elle soit morte, elle aussi ! C'est un peu fort, cet homme qui se jette dans le vide. Qu'il y reste ! "De cette dernière tentative, je n'attends rien. En même temps, j'en espère tout." Moi je trouve que c'est trop tard, tant pis pour lui. Cet homme a gâché ma lecture !
Plon, 165 pages
La noce d'Anna - Nathacha Appanah
Ce roman me parle d'un bout à l'autre, c'est tout moi ! Sonia, quarante-deux ans, marie sa fille Anna. Au cours de cette journée, Sonia va vivre de souvenirs autour de sa relation avec sa fille, comprenant la rencontre avec le père d'Anna, la vie en France, loin de son île natale qu'est l'Ile Maurice, son travail d'écrivain, mais surtout les antagonismes émergeant entre une maman fantasque et insouciante contre une fille plus rangée, studieuse et consciencieuse. Anna et Sonia sont deux opposées, elles ont grandi à deux et aujourd'hui le noyau s'ouvre pour un autre, un lendemain et un ailleurs qui donne le frisson.
Pourquoi j'ai tout personnellement aimé ce roman ? Car je me suis sentie toute concernée par ce portrait de maman, qui regarde sa fille et s'en souvient comme si c'était hier. Se rappelant l'enfant blonde et rieuse devenir plus modérée, Sonia se demande pourquoi sa fille finalement lui ressemble si peu. Il y a au fond d'elle une envie de bousculer son enfant, de vouloir la placer dans un autre cadre, plus semblable à ses idéaux. Se marier en rouge, les cheveux au vent, un hibiscus derrière l'oreille, les pieds nus.. pourquoi pas ? Mais Anna, elle, trouve ça "ridicule". Etre mère et le devenir, ce roman pose toutes les questions délicates. Etre fille, assumer sa propre identité, couper le cordon, c'est une autre problématique. "La noce d'Anna" m'a renvoyé un portrait de maman que je risque de d'être, de devenir... Ma fille n'a que cinq ans, moi à peine trente ans, et pourtant... J'étais dans la peau de Sonia, je me voyais aussi plongée dans cette noce, regardant ma fille poudrée de blanc, les lèvres rouge carmin, la trouvant belle mais si loin de moi... Je me suis plongée dans ce livre avec un vrai bonheur, j'ai purement et simplement aimé. Et l'auteur, Nathacha Appanah, m'a bluffée d'avoir dessiné une femme de quarante ans avec cette sérénité, cette maturité déconcertante car elle-même n'a que trente-deux ans ! La journée apporte à Sonia beaucoup de réponses à toutes ses questions, la berce à force d'introspection et de regards vers un passé libérateur. Je n'ai plus de mots pour évoquer mon enthousiasme, déjà fort éloquent avec Blue Bay Palace, son deuxième roman. Tout bonnement, j'ai adoré.
Gallimard, collection Continents Noirs, 148 pages.
Une femme de quarante ans tombe raide dans son appartement, victime d'un accident cérébral. Elle en revient mais défigurée, méconnaissable aux yeux de sa fille. Cette maman n'a plus sa tête, ne formule plus ses phrases, oublie ses mots, radote, s'impatiente, se tartine le visage de crèmes et ne se nourrit que de biscuits et d'eau minérale ("Palmito d'Evian"). Trente ans que ça dure, la fille oscille souvent entre l'agacement, l'énervement, la tendresse et le sang-froid. Mise à rude épreuve, mais aux regards incompréhensibles des autres elle rétorque "après tout, c'est ma mère". Et toc.
A l'image de l'esprit embrouillé de sa mère, désormais en maison de retraite et confinée dans un état végétatif plus ou moins inquiétant, le roman se chamboule de mille et une pensées, d'anecdotes qui laissent filer la difficulté de s'occuper de sa maman réduite à un tel état. Donc, roman confus, chapitres brefs, incisifs, des bouts, des instantanés d'une tentative de ne pas laisser tomber sa mère, d'assumer son rôle filial. Malgré la frustration, comme elle le dit, en tombant malade, sa mère a ôté à sa fille le droit à la mémoire. Son héritage, c'est de veiller une maman qui déraille, inconséquente et qui ne comprend plus rien, ou pire, qui le fait exprès ! C'est donc un livre sur l'épineuse relation entre une fille et sa mère vieillissante, intéressant mais parfois brouillon.
Calmann-Levy, 132 pages
Les amants américains - Pascal Morin
Quel fouillis au début ! Première impression : il y a plusieurs narrateurs, d'âge et de sexe différents, plongés dans le passé et le présent. Quand l'histoire s'installe enfin, on découvre qu'un homme de quarante ans, au volant de sa voiture, va à la rencontre d'une femme qui fut une adolescente rêveuse, dans les années 60, et qui a eu et abandonné son enfant. On comprend que ce bébé fut Alexandre, l'un des narrateurs de l'histoire, dans la peau d'un quadragénaire mais aussi de l'enfant et l'adolescent, à la quête de ses origines. Se chevauche, en imagination, le parcours de Rose, autrement dit Sourde, pour avoir caché, abandonné son enfant, tourné le dos à celui-ci sans ciller. Entre reproche, état d'âme et nostalgie, l'histoire d'Alexandre et Rose est celle d'enfants rêveurs et utopistes, blessés et solitaires.Honnêtement je n'ai pas trouvé le même enthousiasme lorsque j'avais lu le premier roman de Pascal Morin, L'eau du bain. Histoire beaucoup plus percutante et vicieuse, bien construite et palpitante. "Les amants américains" est plus travaillé, plus fouillé et réfléchi. L'auteur a emprunté de nouveaux sentiers, qui furent déconcertants au démarrage et laissent finalement perplexes. Ce n'est pas un mauvais livre, mais je suis déçue de ne pas retrouver les qualités qui m'avait séduite dans son premier roman. Un peu frustrée, en somme.
Editions du Rouergue, 124 pages.
La peau des autres - Eric Paradisi
Avec deux femmes dans sa vie, l'homme de "La peau des autres" refuse pourtant d'être "un homme à femmes", collectionneur de conquêtes faciles, les sentiments au placard. Lui revendique d'être un homme qui ne sait pas dire non et qui aime le goût de "la peau des autres". Ainsi, il rencontre d'abord Pauline Huang, masseuse à la longue natte brune. Puis Paule Clarence, l'imperméable en cuir, le bonsaï malade, médecin... L'homme s'est reconverti dans ce commerce, lassé d'être visiteur médical, métier peu humain, le pourrissant de l'intérieur. Qu'en est-il resté, finalement ? L'homme semble si froid, si glacial et cynique, à l'image de son époque. Il a juste du coeur pour ses souvenirs (amers) de l'enfance et le soutien pour son père malade.
Point d'épilogue ou de solution. On pourrait vite cataloguer ce premier roman "de tourner en rond" et de réchauffer une histoire déjà écrite, déjà lue. Non. J'ai été surprise et séduite par son narrateur détaché et qui banalise jusqu'à la conception du sexe en lui-même. Culotté, donc. L'histoire ne s'apesantit jamais, c'est court, juste et bien dosé. Quelques passages assez effrontés, une rigueur presque naturelle et une aisance ébouriffante pour ce monde sans lendemain, qui ne tient pas debout, illogique et l'où se sent si seul... etc. Très séduite, j'ai aimé mais j'ai du mal à le partager.
Gallimard
Rue de la tranchée - Kari Hotakainen
Matti vient de se disputer avec son épouse Helena et lui a envoyé son poing à la figure. Aussitôt Helena fait ses valises et part avec leur fille Sini. Plainte déposée et divorce en cours, soit six mois de réflexion selon la loi finlandaise. Mais Matti s'insurge, après tout voici ce qu'il en dit : "Helena avait employé une ruse antique, connue depuis l'aube de l'humanité : frapper à coups de mots pour me faire riposter avec mes poings. La justice et les services sociaux déroulent tout de suite le tapis rouge devant celui qui exhibe un oeil au beurre noir". Il décide aussi d'entrer en résistance, lui "le combattant au foyer", celui qui a toujours favorisé l'épanouissement de sa femme pour une vie professionnelle, tandis qu'il s'occupait du reste (ménage, enfant etc.). Comble de l'ironie, le conflit qui opposait Helena et son mari se pose justement sur son manque de "machisme" !Bref, Matti a un projet et se met en tête d'acheter une maison - La maison de ses rêves et ceux de Helena, une maison de vétéran (c'est toute une histoire à ce sujet) - afin donc de reconquérir sa femme, de récupérer leur fille et de refonder une famille soudée. Il entre ainsi en transe, véritablement. Pour plusieurs raisons : trouver LA maison, ramasser l'argent nécessaire, espionner ses voisins, prospecter, harceler etc, etc...
C'est franchement un roman déconcertant. Heureusement Matti n'est pas le seul intervenant, les autres protagonistes aussi jouent les narrateurs. Heureusement, car le personnage de Matti est déroutant : est-il fou, psychopathe ou désespéré ? Un peu tout ça. Toutefois il m'est demeuré antipathique. A plusieurs reprises, Matti est présenté comme un homme "en transe" et c'est vrai ! L'homme court partout, il prend des notes dans un carnet, il fait des collages, téléphone et espionne avec des jumelles. C'est presque un malade ! D'un autre côté, sa transe donne une pression supplémentaire et fait monter d'un cran supérieur l'atmosphère : d'une analyse du couple et de la société actuels, (qui égratigne voisins, propriétaires, agents immobiliers, spéculation et la famille démantelée etc), on passe fébrilement à un thriller psychologique, une montée de la folie douce et un carnage hypothétique ? Qui sait... Mais je n'ai pas su entrer dans le roman, ni pu m'attacher aux personnages. J'ai été assez hermétique à cet humour, à l'ironie du narrateur mais j'ai trouvé assez espiègle ce mélange d'intervenants qui confirmaient un peu la vision des choses ou la déformaient. J'aurais pu abandonner plus d'une fois, mais je souhaitais connaître l'issue de l'histoire. Comment allait s'en sortir Matti ? La fin, assez croustillante, laisse la porte ouverte aux suggestions ! Moi, je reste sur ma réserve.
354 pages, JC Lattès
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