11 juillet 2006

RENTREE LITTERAIRE 2005

J'apprends - Brigitte Giraud
Nadia est née en Algérie mais habite la région lyonnaise avec son père, sa soeur, son demi-frère et celle qui n'est pas sa mère. Elle a six ans et entre pour la première fois à l'école. Aussitôt ce monde nouveau devient pour elle une délivrance, un confort, un périmètre de rigueur, d'organisation et d'encadrement. En grandissant, Nadia s'applique toujours autant en classe, en gymnastique mais se détache des autres. Sa différence lui vient du mystère de son passé, sur toutes ces choses qu'elle comprendra "plus tard". Elle apprend ses leçons par coeur mais "personne ne m'apprend mon petit bout d'histoire à moi, ma traversée de la Méditerrannée, ma triste épopée". Car au fil du temps, Nadia devient curieuse, se pose des questions et réfléchit; selon elle, "je ne suis pas celle que tout le monde croit connaître".En fait, cette jeunesse semi-dorée, semi-amère se passe dans les années 60-70, dans une ZUP où "nous sommes tous des enfants de la guerre d'Algérie, sans le savoir". Nadia est une petite fille attachante, dans laquelle une génération peut se retrouver. Par bribes, elle raconte sa jeunesse et son début d'adolescence, échelonnée de morceaux de poèmes, de règles de grammaire, sciences ou histoire. Nadia s'affirme à l'école mais s'efface chez elle. Sa double identité relève d'un passé familial chuchoté, à peine esquissé. Elle entend "des choses" dans les cages d'escaliers ou près des boîtes à lettres mais elle ne sait rien...Brigitte Giraud livre ainsi un nouveau roman en toute simplicité, écrit avec beaucoup d'amour pour la petite Nadia, enfant 'importée", un modèle dont on gomme les angles et avec un pan d'histoire qu'on tente d'effacer, avec maladresse et méchanceté, déjà. "J'apprends" est un mélange d'innocence et de pudeur, de vérité qui sort de la bouche des enfants. C'est très simple, ce qui n'enlève pas sa qualité !

Extrait :" L'école m'éloigne de la maison, me protège. A l'école, nous construisons notre monde, qui n'est pas celui des parents. Nous inventons un univers parallèle, presque étanche où n'existent ni notre histoire ni notre origine. Dans la Zone à Urbaniser en Priorité, nous sommes tous des enfants de la guerre d'Algérie, sans le savoir. Nous n'avons pas conscience que l'Afrique du Nord est inscrite dans nos veines. Pieds-noirs, Algériens, harkis, fils d'immigrés partagent le même espace. Ceux qui sont des Français d'Ardèche et de Haute-Savoie sont des enfants d'appelés en Algérie. Impossible d'y échapper. Les photos de palmiers et de bougainvilliers sont dans tous les albums, les roses des sables sur tous les buffets. La déchirure de la guerre dans toutes les mémoires. Mais les enfants que nous sommes se heurtent au silence. Les questions que nous posons dans nos appartements restent sans réponse. Nous marchons sur de la braise encore brûlante et personne ne veut nous raconter notre histoire. Nous savons que la Méditerrannée a baigné le destin de nos pères, qu'elle en a fait des hommes nostalgiques. Mais personne n'a le courage de nous enseigner les détails de la folie algérienne. "
Stock, 156 pages

Pissenlits et petits oignons - Thomas Paris
Koulechov est un croque-mort original. Dans son métier, pour égayer ses instants morbides, il décide de connaître "ses" morts afin d'écrire au moins quatre pages de leurs histoires personnelles. Koulechov s'improvise écrivain et rend ainsi âme aux disparus. Un jour il s'occupe du cas de son quatre mille deux cent vingt-quatrième "client" : Emile Lécuyer. Et c'est deux femmes qui entourent ce cadavre, Eva Rouvière et Anne-Marie Lécuyer, la maîtresse et l'épouse, semble-t-il. Et l'histoire commence sur le trajet pour inhumer le corps, un pistolet braqué vers Koulechov ! Qui, quoi, comment, pourquoi ? Le lecteur s'en pose des questions et Koulechov, en digne et humble narrateur, déroule le fil de son histoire.

"Pissenlits et petits oignons" se trouve donc un roman drôle, glacial et inquiétant, assez risible par certains aspects comme la comédie des moeurs légères mais esquissées. Koulechov est un personnage affable, qu'une histoire, simple en apparence, va paralyser et emmêler les pinceaux. D'ailleurs, la conclusion s'avère étrange, dérangeante et révise le roman entièrement !

Buchet Chastel, 166 pages

La martre - Alice de Poncheville
Alice de Poncheville est avant tout une auteur pour la jeunesse et j'ai eu le sentiment qu'à travers l'écriture de "La martre" le style s'y ressentait. J'entends par là que l'ensemble de ces dix nouvelles sont toutes très simples, peu originales, mais attachantes et pétries de tendresse. Alice de Poncheville sait très bien s'attacher à ces personnages, et nous le rend bien. D'emblée, avec "La princesse", j'ai particulièrement apprécié Adèle, une héroïne qui se trouve un peu trop ronde, godiche et pataude, en visite chez son amie Elizabeth dans sa belle villa avec piscine. Dans cette histoire, c'est assez cruel de déceler les failles d'une amitié d'enfance qui vieillit mal. Et quelle chute ! c'est assez drôle.
Par la suite, les histoires se suivent et se ressemblent moyennement. Parmi celles qui sortent du lot, "La martre" (autrement dit, un mammifère à fourrure, semblable à une fouine, en plus gros) qui réunit deux frères étouffés par la jalousie et la rancune réciproques. Un trajet en voiture va libérer les tensions, mais sans faire trembler le sol. C'est globalement ce que j'ai ressenti, au fil des pages : c'est bon-enfant, assez délicat, les personnages sont ordinaires et leurs aventures tout autant ! Tendresse particulière pour André, dans "La chemise", un vieux garçon à tendance obsédé, et la femme dans "Le rallye", seule et radoteuse. Aucune des chutes n'est fulgurante ou époustouflante, la lecture de ce livre est sommaire. C'est gentillet mais pas indispensable.
L'olivier, 185 pages

Le vrai est au coffre - Denis Lachaud
Thomas Fabre emménage dans une cité proche de Paris, dans un logement attribué aux employés des chemins de fer. Il a cinq ans et vit auprès de ses parents et sa soeur Hélène. Très vite, une nouvelle famille arrive dans cette cité et Tom fait la rencontre de Véronique. Avec elle, une amitié fusionnelle va aussitôt se créer. Tom et Véronique sont inséparables et tout deux jouent au papa et à la maman avec les nombreuses poupées de la fillette. Avec le temps, Tom et Véronique sont toujours collés l'un à l'autre et cela semble agacer certains garçons de cette cité qui insulte Tom de "tapette". Malgré le temps qui passe, cette étiquette poursuit Thomas. Il a huit ans, part en classe de neige mais les choses se passent mal.

Je laisse la surprise au lecteur quand à la tournure des événements survenant vers la page 100. Pour ma part, j'ai eu du mal à déceler le fantasme du réel. Alors que le texte était épuré, simple et presque effacé, l'histoire passe ensuite un autre cap, plus déroûtant et perplexe. On aime ou pas, parfois j'oscillais. Denis Lachaud travaille sur le même thème du choix identitaire au fil de ses romans. Depuis "J'apprends l'allemand", j'ai du mal à retrouver ce qui m'avait plu chez cet auteur. Tom dans "Le vrai est au coffre" est encore un enfant qu'on pense efféminé parce qu'il ne joue pas au football, c'est un gamin solitaire et qui traîne avec une fille. A un moment, Véronique s'exclame en colère contre ces prototypes de mâles sûrs de leurs décisions, de leurs destinées et qui veulent l'imposer à l'assemblée. Le droit à la différence, c'est un peu le message de ce roman. Mais j'ai trouvé que Denis Lachaud était trop ambigu dans sa narration, surtout vers la fin. Le mélange des genres est si confondant que l'impression générale s'en ressent. En bref, je suis mitigée, mais pas négative.

Actes sud, 156 pages

Un minuscule inventaire - Jean Philippe Blondel
Après "Juke Box" (une chanson, un pan de vie), "Un minuscule inventaire" reprend le principe de ressasser un moment de son existence à partir d'un objet, cette fois-ci. Antoine a quarante ans, sa femme le quitte pour un dentiste et part avec leurs deux enfants. Lui décide de faire le vide dans la maison avant de tout quitter pour partir à l'étranger. A l'occasion d'un vide-greniers, il déballe ainsi les vestiges d'un passé à la fois récent ou lié à l'enfance. La journée s'écoule et lui de rêvasser sur sa chaise au fur et à mesure que les objets changent de main et de propriétaire...
D'abord, je m'attendais à lire l'inventaire de son stand et l'association mélancolique à un souvenir d'une vie tour à tour comique, dramatique ou dérisoire. Et puis, finalement, après avoir fait le maigre tour des "objets perdus", on passe de l'autre côté du miroir : vers les "objets trouvés". Et alors tout prend un sens différent, ce qui paraissait aigre-doux prend une teinte plus édulcorée. Finalement, Antoine est un garçon bien sympathique... Et c'est l'un des points attachants du roman : la tendresse qu'inspirent les personnages. Au cours de cette journée, on accompagne Antoine bien plus loin - on fait la connaissance du petit garçon, de l'adolescent puis du jeune homme. Enfin bref, j'ai beaucoup aimé... Jean-Philippe Blondel est plus "léger" dans ce roman qu'il ne transparaissait dans "Juke Box" - plus d'humour, de finesse. C'est un beau petit voyage au travers du miroir - très, très agréable !

Extrait :"... je pense que j'en ai fini, moi, du rêve du hamac - plutôt qu'un hamac, je voudrais un nuage - quelque chose qui s'élève un peu plus haut maintenant, une ouate - et puis tout oublier. "

Robert Laffont, 295 pages

Un instant d'abandon - Philippe Besson
Un homme rentre au bercail, dans son village au bord des falaises, en Cornouailles. A Falmouth, la grisaille est constamment dans le ciel, mais aussi chez ses habitants. Ces derniers ne pardonnent pas qu'un des leurs se fasse remarquer, comme le cas de Thomas Sheppard. L'homme est de retour au pays, mais sous le coup de l'opprobre. Tom est désormais "un monstre" aux yeux de tous - il a tué son fils. Cinq années de prison n'ont pas lavé la haine des habitants de Falmouth - on lui en veut. Et celui-ci exacerbe le ressentiment en revenant au village - inadmissible ! Dans ce coin où les visages sont fermés, les femmes interdites au bistro, les hommes perdus en mer, "où rien ne se dit et tout se sait"... Tom a toutefois le sentiment d'être libre à Falmouth, bien que sous la coupe du bannissement. Par deux fois, il va se confesser : à deux autres exilés, deux âmes en peine. L'un va recevoir toute la vérité sur la disparition de son fils, l'autre va comprendre pourquoi il est rentré au 325, Melville Road.

Honnêtement, je ne pense pas que ce dernier né de Philippe Besson soit du grand cru ! Pourtant le début est prometteur et tient le lecteur agrippé, fasciné par cette ambiance morne qui règne à Falmouth. Le cadre est bien planté, les embruns, les falaises, l'isolement et le sentiment de non-retour sont très palpables. Et pourtant, l'auteur dérape en cours de route, la fin est flottante. Le glauque doit être associé à une certaine "poésie" pour être accepté, et là il n'y a que de la rigueur, de la violence. Le personnage de Tom Sheppard s'enterre et campe sur des positions que je trouve inexcusables. Et à trop les ressasser, je m'énerve presque contre ces petitesses qui ont ponctué le discours du pseudo repenti ! Trop facile... Bref, j'ai récemment lu une remarque sur Philippe Besson, devenu un peu trop fécond aux cours des dernière rentrées. La multiplication ne garantie pas la qualité, c'est à surveiller ! Et ce nouveau roman en est un preuve : la fin est bâclée.

Julliard, 213 pages

Mesdames, souriez - Jessica L. Nelson
Eté caniculaire, dans un appartement parisien, deux antogonistes s'affrontent : Louisa Marie, étudiante de vingt ans, superficielle et légère, contre la Vieille, l'Autre, l'Antique, jamais nommée, juste désignée, quatre-vingt dix ans bien sonnés, un menhir dressé sur ses pattes, la babine bavante de haine. Ces deux-là cohabitent dans le même appartement depuis trois ans, l'une par héritage, l'autre par "raison". Mais ni l'une ni l'autre ne peuvent se sentir et leurs dialogues virent aussitôt en pugilat. Et les deux mois à venir, sous des températures assommantes et invivables, vont plonger les deux protagonistes loin d'une torpeur légendaire !

"Mesdames, souriez" est le premier roman d'une franco-américaine de vingt-cinq ans. Et je lui pardonne ses quelques facilités à dessiner une héroïne frivole et obsédée par son apparence et la maigreur de son corps, le catalogue d'une tribu aux moeurs faciles et folâtres. Par contre je suis conquise par le rapport haine-amour entre les deux femmes, les abus, la vie impossible, la guerre des nerfs ! De plus, l'auteur a pris le parti d'être équitable avec les deux - tendresse, respect, agacement et solidarité pour chacune ! Du moins, moi je l'ai ressenti comme ça. Et j'ai dévoré les 200 pages d'une traite ! L'envie de meurtre, même si elle se justifie, est un cap difficile à franchir - on se demande jusqu'à quand Louisa Marie va tenir le coup ! Osera-t-elle aller jusqu'au bout de ses cauchemars ? Suspense entier !

Le titre reprend une réflexion de Madame de Maintenon qui me touche et donc je la répète : "Mesdames, souriez afin que plus tard, vos rides soient bien placées" !

Fayard, 206 pages.

La pluie ne change rien au désir - Véronique Olmi
Un 18 août, à Paris, vide et abandonné, près à succomber à un orage, un homme et une femme se rencontrent, se retrouvent, se sont donnés rendez-vous. Cette femme est très pâle, trop maigre, "elle était lisse et fine comme une esquisse, une femme pas assez dessinée la chair pas assez pleine", et lui a les yeux bleus, la mèche de cheveux qui lui barre le front, il la suit dans le Luxembourg puis à son invite à l'hôtel. Très vite entre eux deux le langage des corps va s'ouvrir, plus loin que tous les mots pour expliquer le silence, la souffrance et l'attente. Le corps devance le désir, l'un et l'autre se donnent, c'est un libre échange, ils ne sont pas deux, ils sont ensemble. L'homme doit apprendre la douceur et la brusquerie, la femme s'offre et se donne sans compter, mais reçoit autant de plaisir que de douleur. C'est très limite cette frontière entre le plaisir et la souffrance ! Car chez cette femme il y a une plaie encore trop ouverte, pourra-t-elle s'en confier à lui ? Elle paraît lui accorder sa confiance, en lui offrant son corps. De quoi donc a-t-elle été flouée, au même titre que ses rondeurs féminines ? Cette femme est brisée et l'homme doit toujours se méfier, freiner pour respecter "cette effroyable limite entre le don et la méfiance, entre la licence et la précaution".

Débarquée de chez Actes Sud, Véronique Olmi publie chez Grasset un nouveau roman proche de l'érotisme. "La pluie ne change rien au désir" est très charnel et sensuel. Chez le lecteur habituel, la même espérance n'est plus. L'auteur bouleversant de "Bord de mer" s'aventure vers un territoire différent, mais également proche d'elle. Dans ce nouveau roman, il y a la figure de l'héroïne fragilisée et cassée, un passé obsédant et secret, et surtout une suavité dans les rapport homme-femme très, très licencieux ! Véronique Olmi ne s'attache à rien, finalement. Elle raconte son histoire, prenez une femme qui n'a rien d'une femme, sinon une attente de sexe très forte et encore présente, une aspiration au plaisir et au désir incomparable. Donc cette femme vit encore sous les coups de cet homme, elle vit aussi en lui donnant tout autant qu'elle reçoit ! C'est très honnêtement parfois gênant, dérangeant, c'est un nouveau roman différent des autres, donc cela explique un peu la délicatesse de s'y adapter à nouveau, de s'y habituer un tantinet. Parfois j'ai aimé, parfois moins. J'apprécie la dramaturge, je n'idolâtre pas l'apprentie romancière érotique. C'est confus, le style est haché et pêle-mêle, c'est encombrant, mais langoureux et sensible, bref c'est confondant. J'hésite ...

Grasset, 156 pages

Extrait :" Elle n'avait envie que de son sexe dans le sien, rien d'autre que cet acte nu, cette vérité première, elle écarta les jambes, elle était vierge de lui innocente de lui, il vint en elle et elle sentit le bout si rond si doux de sa queue pénétrer s'emboîter se loger dans son ventre et vouloir cet abri, fouiller cet idéal se bercer lentement d'abord dans la prudence la retenue, doucement d'abord dans son sexe gonflé bordé d'eau et de sang, doucement dans l'insupportable tension et tous les possibles inexplorés les promesses de l'ivresse et de l'accord, elle sentit la vigueur la souplesse et la dureté de sa queue, un bouleversement une érection un don d'érection, il bougeait plus vite maintenant cherchant le soulagement le redoutant cherchant la jouissance la différant chavirant dans son ventre se maîtrisant mais basculant plus vite déjà d'avant en arrière la course retenue le contrôle éperdu au rythme de la femme s'unir, elle gémissait du fond de sa gorge l'effort pour ne pas hurler, mais accepter, accepter d'être à la merci d'un homme, prise, tenue, envahie par un homme, accepter ouvrir ses cuisses lâcher ses râles hurler supplier plier se soumettre dériver, et il bougeait plus fort en elle mais pas plus vite pas affolé encore pas emballé encore, elle ouvrit les yeux (...) "

La lecture - Danièle Pétrès
Cinq personnes sont invités à assister à une lecture dans une salle des fêtes en banlieue. Et puis, rendez-vous manqué ou moment crucial, cette lecture sera le catalyseur pour chacun et révélera les failles du couple ou les mauvais choix à un tournant de la vie... La lecture de l'amie comédienne passera au second plan !
Ce roman est très court, son histoire est intéressante mais "La lecture" aura du mal à défendre ses chances parmi la cohue de septembre. Même si cette lecture est plaisante, elle ne révolutionne en rien le genre et ne détonne pas. Personnellement je n'aime pas trop le choix de narration en "vous", cela donne un côté donneur de leçons et une solennité artificielle, bof. Mais bon, j'ai aimé ce livre, l'ai lu très vite et j'ai trouvé pathétique l'histoire du couple. Alors ce livre mérite qu'on s'y attarde, ça ne mange pas de pain et on ne perd pas son temps non plus !
Denoel, 100 pages

Le carnaval des monstres - Anne Sophie Brasme
La particularité de Marica est d'être laide, mais vraiment laide. Elle le sait, et pourtant elle s'imagine être jolie. Surtout quand elle suscite le désir d'un homme, comme Joachim. Mais là, c'est plus compliqué. Car avant de rencontrer le photographe, Marica est littéralement obsédée par le sexe et le désir des autres, essentiellement les jeunes hommes, étudiants de la Sorbonne ou joueurs de tennis. Sa cause est perdue, elle le sait. Aussi elle répond à l'annonce insolite de devenir modèle pour des photographies à caractère atypique. Car Joachim s'intéresse au laid, au moche, aux monstruosités derrière les façades humaines. Il photographie, dessine, peint et écrit ! Joachim abhore Marica, du moins ce qu'elle représente. Et pourtant il la désire, c'est sans doute ce qui lui paraît détestable et honteux de sa part. Etre attiré par l'ignominie !

Bref, c'est un deuxième roman dérangeant et ambivalent dans son appréciation. Je dois avouer n'avoir pas été complètement emballée. Par moments j'ai peiné, trouvé louche cette relation entre le photographe et son modèle. Les deux partis sont détestables, mais j'éprouve une sympathie pour la Marica du début - cynique et faussement légère, consciente de sa difformité, mais revendiquant le même droit à l'amour que les autres ! Après tout, si Joachim couche avec elle, ça veut bien dire quelque chose ? Non ! Les rapports entre eux deux deviennent lourds, pesants et poisseux. Chacun, finalement, a honte. D'être moche, de prétendre être différent, d'aimer l'hors-norme, d'être affamé d'un amour charnel, non plus sentimental... bref ça devient une spirale angoissante et délirante ! Et même un peu malsain. Les desseins sont obscurs et inquiétants, déplacés aussi. Aussi bien l'homme ou la femme sont pris dans cette aliénation ! Pour conclure, tout ça pour dire que j'ai "péniblement aimé". Il y a de belles réflexions, de la perversité et des rouages insensés, pourtant le texte est lourd. J'en reviens au souvenir mitigé du premier livre d'Anne-Sophie Brasme, "Respire", que j'avais moyennement prisé. "Le carnaval des monstres" ne laissera pas indifférent, moi je passe la main...

Extrait :" Je rêve d'un amour si pur qu'il en soit impalpable. Plus besoin de contact; plus de peaux qui soient obligées de se toucher. Plus de plaisir non plus, car il n'engendre après que le dégoût : que nos corps soient purifiés, dépourvus de réaction. Je veux retourner à mes fantasmes d'avant, lorsque j'étais encore vierge et ignorante des choses qui se passent entre un homme et une femme. Je veux la beauté polie d'un rêve, son aspect inaccessible. Jamais plus je ne retrouverai l'innocence. Je sais maintenant que l'amour est laid. "
Fayard, 224 pages

Cinq - Sabine Bouyala
Cinq soeurs dans une même voiture, en route pour une promenade au bord de la mer, et puis l'accident... Les corps se décollent de la carcasse, les esprits rejoignent ces semblants de femmes désormais fluides, transparents, sensibles au froid. Elles contemplent le macabre spectable d'elles-mêmes déchiquetées, bousillées, dépecées, et s'en vont. En chemin, elles vont aller à la rencontre de leur mère, également morte, également un esprit mort-vivant. A cet instant, et un peu plus loin, j'ai décidé d'arrêter. Je n'aime pas ! Dès qu'un auteur tente l'ailleurs, l'identité trouble et divagante, aussitôt le lecteur pense et fait le rapprochement avec Virginia Woolf. Mais cela reste pesant, désespérement opaque, insolite et trop extravagant. Je suis âprement déçue, j'avais reçu un écho favorable à ce premier roman.En plus, dans cette histoire, les personnages n'ont pas de prénom : ce sont le tison, la bougie, le silex, l'amazone et (moi) la narratrice. J'avais un bon a-priori pour ce livre et son paysage des cinq soeurs, me sentant très prochant à tout récit du genre. Et j'ai donc été très touchée par le portrait de chacune, y puisant de ma propre expérience familiale (ma fameuse tribu de sept soeurs !). Mais mis à part cette alléchante présentation, le style de "Cinq" m'est restée froid et biscornu.
Joelle Losfeld, 108 pages

extrait : " Le tison est mariée depuis fort longtemps et a quatre enfants. Elle s'en veut certainement de s'être mariée si jeune mais le courage lui manque de toute reconsidérer. Je discerne chez elle une attention exagérée aux autres et à leurs affaires, preuve en tout cas que les siennes ne lui suffisent pas ou qu'elle cherche à les mesurer. C'est la dépendance qui la caractérise, elle peut construire mais pas jusqu'au bout; il lui manque toujours un pas, ce qu'il faut de soi-même et de liberté pour achever. Elle dit que ses soeurs sont sa seule réelle histoire d'amour. C'est très possible. Son plus grand caprice, aussi. On lui suggérerait bien de tenter de grandir un peu, mais les suggestions l'embarrassent. Elle a cessé de vouloir changer, elle a cessé de réfléchir, elle a cessé de se taire aussi, pour compenser. Elle traverse sa vie en parlant, une cigarette à la main, le col haut relevé, sans doute pour remplacer l'ombre bienveillante sur son épaule qu'elle n'a jamais su trouver.
Le silex n'est ni mariée ni même accompagnée. Le silex toute sa vie a privilégié sa personne, et pour le coup ne s'intéresse ni aux autres ni à leurs affaires. On nous a répété toute notre enfance, et encore après, que le silex avait un un coeur d'or; on s'est épuisé à le chercher. Ses soeurs, elle les subit. Sans jamais vraiment s'être laissée aller à les accepter, sans jamais vraiment non plus se décider à les oublier. Pourtant, pour ne pas se faire mal, on peut aussi considérer que ce que l'on subit n'est finalement pas mortel. Un jour, à force d'habitude, on finit par être dévoué à ce que l'on a tant négligé.
La bougie a une intransigeance à la mesure exacte des erreurs qu'lle ne se pardonne pas d'avoir commises. Elle a fait plusieurs enfants à des hommes différents. Elle a réuni ces enfants dans une maison où elle a fait son possible pour que plus aucun homme ne rentre. Il règne chez elle un état bohème qui contraste dramatiquement avec ses airs de maîtresse d'école, elle a changé cent fois de métier, elle ne se résout pas à la médiocrité humaine. Elle a besoin de ses soeurs pour ne pas décrocher, c'est la seule rampe qui lui reste, un amour infini, une lumière dans un coin, un sentiment désordre qu'elle a cessé de vouloir maîtriser.
L'amazone vit une complicité visiblement parfaite avec le même homme depuis vingt ans. Elle ne semble jamais se poser de question quant à l'incroyable de cette situation, s'occupe à merveille de son fils unique, gère ses affaires avec détermination et réussite, et pour tout cela force l'admiration de ses soeurs. Qu'elle conseille, qu'elle encourage, qu'elle écoute et qu'elle couve. Et qui finissent par constituer un miroir si puissant de ce qu'elle est, que peu à peu s'est installée tout près d'elle l'insupportable angoisse de les perdre. "

Oublier l'orage - Cédric Morgan
Projection dans un avenir proche : été 2012, Jason a treize ans, atteint d'une maladie grave qui le condamne dans les quelques mois à venir. Il séjourne chez Joseph sur l'île de Groix avec sa soeur jumelle Jessie. Leur mère les y a déposés pour respirer l'air pur de la Bretagne, et aussi pour se tenir éloignés des rigueurs plus que puritaines qui régissent le pays en ce temps-là. Car la bande des Obscurants gouverne la France, édictant des lois contre la débauche, la nudité et la dépravation morale ou physique, secondée par des miliciens qui sillonnent les côtes et les plages pour veiller au "sain" comportement du sexe féminin, essentiellement !
Bref, pendant cet été enchanteur, Jason va rencontrer Arthure, une adolescente du même âge, tout aussi revêche et belliqueuse. Tout deux vont s'aimer, naïvement, passionnément, contre les lois obscurantistes etc. Sauf qu'à la fin de l'été, Arthure sera retrouvée morte, noyée et toute nue dans le lac maudit. Et c'est seulement au bout de 28 ans que Jason se ressasse ces vacances mi-paradisiaques, mi-cauchemardesques dans l'attente de l'arrivée de "vous" (on ignore qui ?!). Pourquoi la mort d'Arthure ? Etait-ce plutôt un assassinat ? qu'a-t-il attendu avant de questionner les derniers témoins de cette affaire ?
La chronologie de ce roman est très brouillée. Jason n'a que quarante ans mais en paraît davantage tant il semble perdre le courant de sa pensée et avoir du mal à mettre bout à bout les morceaux du puzzle. A moins que ce procédé soit une intention délibérée de l'auteur, dans ce cas je la trouve moyennement réussie et convaincante. On parvient à suivre l'histoire, certes, mais on s'attend à plus "d'action". Le personnage d'Arthure, par exemple, n'intervient que vers la page 50 du roman ! C'est long ! Et puis "Oublier l'orage" baigne dans une délicate torpeur, à tendance soporifique. Du coup, j'ai trouvé l'histoire molle. J'aurais préféré que le narrateur abrège ses commentaires sur le fond du tableau, comme il dit, et aille droit à l'essentiel. En bref, ce roman est désordonné, manque de rythme et frise le grotesque lors du passage avec un certain John Ellis Bush, nouveau président des Etats-Unis ! Désolant, vraiment.
Phébus, 184 pages

Dans la luge d'Arthur Schopenhauer - Yasmina Reza
Ariel Chipman a longtemps étudié et enseigné la théorie du bonheur selon Spinoza. Et puis, un jour, il est las de tout, il reste avachi dans son fauteuil, vêtu de sa robe de chambre. Son épouse Nadine est également lasse de cette décrépitude, de cet homme qui se laisse couler ou qui refuse de l'accompagner à une soirée de nouvel an, alors elle le roue de coups avec un journal. Serge Othon Weil (amant de Nadine?) est l'ami du couple, mais aussi dégoûté du système français, autrement dit "un système compassionnel dans lequel il faut du drame". Ces trois personnes s'expriment par billets ou à la psychiatre qui leur serine une morale philosophique à leurs états d'âme, truffée de parti pris sur l'élan optimiste refoulé par l'impatience, l'agacement, la barbarie, la violence que nous infligent des petits riens du quotidien. Alors quoi ? quelle consolation ? "On se laisse embobiner par les maîtres, on prospère dans des labyrinthes croyant qu'il s'agit de félicité de l'esprit, jusqu'au jour où tout à coup plus rien ne tient, un petit homme gît dans une solitude lugubre, aux côtés d'une femme indifférente qui démarre l'année en dévorant un article sur l'extinction des grands singes"...Dans un discours parfois embrouillé, à se demander où l'on va, qui sont-ils et quels délires les rapprochent, Yasmina Reza lie l'ensemble subtilement et livre, oui, une histoire assez caustique, d'un humour qui convient aux critiques éloquents (...) mais son court roman régale la lectrice lambda que je suis, donc ça va !
Albin Michel, 106 pages

Le muséee de la sirène - Cypora Petitjean Cerf
C'est du n'importe quoi dans ce roman, et pourtant c'est entraînant comme une mélopée envoûtante ! Anabelle a trente ans, elle est peintre et vit seule dans son appartement, pétrifiée d'une peur de l'extérieur quasi maladive. Un jour, elle vole une sirène dans l'aquarium du restaurant chinois en face de chez elle et l'installe dans sa salle de bains. Sous ses yeux, la sirène va grandir, dessiner, chanter. Entre elle et Anabelle, un jeu d'apprivoisement, d'apprentissage et de séduction commence. Mais au fur et à mesure que l'une pousse vers le haut, l'autre diminue - comme si l'énergie de l'une alimente sa comparse!

En bref, en dire plus long gâcherait le plaisir de lecture, déjà que cela se lit très vite ! J'étais stupéfaite d'un tel livre, je pensais que l'auteur allait dégénérer et partir dans un trip excentrique et sans queue ni tête. Et pourtant j'ai eu le sentiment que Cypora Petitjean-Cerf a su maîtriser son sujet, sans le faire déborder vers des sentiers cahotiques. Plus d'une fois on flirte avec l'invraisemblable, mais j'ai tout pardonné à l'auteur ! Son imagination m'a enchantée : l'histoire d'une sirène, envahissante et exclusive, une trentenaire à deux pas de tomber dans l'agoraphobie, au centre une créativité folle et joyeuse, un amour presque adolescent pour le nommé Francis - "je sais à peine quelle tête a Francis. Je l'aime, donc je n'ose pas le regarder" ! Vraiment, "Le musée de la sirène" a ce petit charme qui l'isole de la grande littérature fracassante de la rentrée, cela me touche et m'enthousiasme et c'est ce que j'apprécie dans les livres ! merci l'auteur - Cypora Petitjean-Cerf, quel beau nom !

Stock, 114 pages

La verticale de la lune - Fabienne Juhel
L'histoire a les ingrédients essentiels pour séduire : une fillette imaginative, trop rêveuse aussi, solitaire, isolée dans cette île en Bretagne - elle ouvre sa narration en jetant Nadine dans le puits. Impossible d'en savoir plus. Car l'enfant raconte très vite son univers : amoureuse des arbres, elle lie avec son hêtre une relation sensuelle et "physique". Mais un jour, l'arrivée du bûcheron, dit l'Indien, menace cet éden ! Il faut vite échafauder des plans de sabotage, ameuter la maman qui s'envole rejoindre son amante sur le continent trop souvent, confier des choses intimes sur son père absent à la bonne mexicaine, etc etc... Discerner le vrai du faux est l'un des challenges du roman ! Toutefois j'ai manqué à être embarquée dans ce cosmos, séduite d'emblée, puis lassée, avant d'être reconquise, et ainsi de suite. Trop de sentiments en yoyo lassent et ternissent cette lecture. C'est regrettable. Ce premier roman a la base d'être bon, j'ai juste loupé le coche en cours de route.
Zulma, 142 pages

Un couple ordinaire - Isabelle Minière
Benjamin et Béatrice sont un couple marié, parents d'une adorable Marion. Il est pharmacien, elle écrit des livres pour enfants. Un jour, en achetant une table basse pour le salon, besogne quelconque d'un couple ordinaire, l'esprit de Benjamin décroche - il se sent creux, vide à l'intérieur. Et du coup les rapports du couple se déglinguent. Ou plutôt le déclic a lieu : Benjamin ressent l'oppression que lui fait subir son épouse. Car sous des semblants de femme intelligente, belle et modèle, Béatrice se révèle totalitaire, tyrannique ! Dans son couple, elle agit en supérieur hiérarchique, use des larmes et du chantage pour faire vaciller son homme. Benjamin est un type simple, pas mauvais, assez nonchalant et facile à vivre. Mais Béatrice en veut plus : une ascencion sociale, une vie sexuelle active, une communication permanente entre eux deux, l'affirmation de son compagnon. C'est trop pour un seul homme ! Mais heureusement, Plutarque est là, prêt à le sortir de la mélasse.

Là, j'avoue que je me suis détachée de ma sacro-sainte solidarité féminine. Désolée Béatrice, les préceptes de Madame sont inqualifiables et honteux pour la gente féminine ! Du moins, peut-on lui reconnaître une malignité impeccable, car bien calfeutrée sous des dehors de femme fatale et pleine de classe. Pourtant, le couple va mal ! Quand on parle de "couple ordinaire", déjà je rejoins l'argument de Benjamin : il n'y a pas de misères dans "un couple ordinaire" mais de l'amour. Les petites mesquineries à deux sous sont l'annonce d'une chute prochaine ! Et c'est cette dégringolade, lente et latente, que décrit merveilleusement Isabelle Minière ! J'étais accrochée, même si mal à l'aise par des détails anodins, intimes et finalement reconnaissables ! Je n'étais pas sympathisante à Benjamin au début, je le croyais faible, las et démissionnaire. Mais tout s'explique par la suite... L'attitude de Béatrice fiche à cran le lecteur. Ses revendications de femme moderne et indépendante donnent un peu le frisson - ça existe un peu tout ça, en vrai ? Oui, hélas. Je crois que, dans ce roman, on trouve un part de soi-même dans l'homme et la femme. Cela explique le sentiment de "fascination glaciale" que m'inspire cette histoire. Mais j'ai beaucoup aimé, c'est tellement vrai !

Le dilettante, 185 pages

Un soir de décembre - Delphine de Vigan
Matthieu remporte un succès d'estime suite à la parution de son premier roman. Parmi son courrier usuel, il reçoit la lettre d'une jeune femme qui prétend le connaître. Cela remonte à dix ans auparavant, ils se sont croisés dans un avion, puis revus et aimés follement. Mais Matthieu était déjà amoureux d'une autre femme, Elise, qu'il a épousée et avec laquelle il forme un couple épanoui, parents de deux garçons. Alors pourquoi l'écriture du deuxième livre rend son auteur solitaire, en retrait de sa vie ordinaire, de plus en plus vide et accablé ? Ou les lettres de cette ancienne amante sont-elles à l'origine de cette brèche qui s'ouvre et creuse chez lui un désarroi insurmontable?

On se pose mille questions à la lecture d'"Un soir de décembre". L'entrée est assez fade, à mon goût, puis on picore la suite à toutes petites bouchées plus délectables. La mayonnaise prend, même si les caractères des personnages alourdissent un peu la bonne appréciation. C'est une question de délicatesse, personnellement je n'aime pas trop les tempéraments fragiles et qui laissent une place prépondérante à la théâtralité. Comme la jeune femme des lettres, ou comme Matthieu, l'écrivain qui bascule. Est-ce que le travail d'écriture rend son auteur à ce point malheureux ? J'ai trouvé que c'était triste : être écrivain finalement rend solitaire. Est-ce vrai, en général ? Toutefois je sais bien que dans ce roman, Delphine de Vigan a tenu à introduire chez cet homme le révélateur d'une défaillance enfouie, éteinte ou inconsciente. Les lettres ont eu ce pouvoir-là. Par certains aspects, j'ai pensé au roman de l'italienne Margaret Mazzantini "Ecoute-moi" (un homme partagé entre deux femmes, le coeur, la raison, la déraison aussi...). Aussi pour bien apprécier "Un soir de décembre", je conseille de le lire d'un coup, de forcer l'impression mitigée du début puis d'être happée par cette histoire de désenchantement. Et pour conclure, cette phrase qui résume tout : "Nous avons tous une histoire à raconter. Quelque chose dont il faudrait réussir à se débarrasser, pour avancer".

Lattès, 194 pages

La petite trotteuse - Michèle Lesbre
Anne est mystérieuse. Que fait-elle dans la vie ? Elle visite des maisons ! C'est sa trentième villa, elle se situe au bord de la mer, avec les volets clos et désertée de ses occupants. Avant de se rendre à son rendez-vous, Anne séjourne dans un hôtel tenu par une mère et sa fille, un couple attachant, entouré d'ombres également. Anne semble d'ailleurs être fascinée par leurs activités nocturnes, elle épie les silhouettes, les bruits et elle pense à des tas de choses. A l'hôtel elle rencontre également un homme qui laisse la porte de sa chambre toujours ouverte, où elle s'y faufile discrètement pour cerner le personnage. Et c'est finalement avec lui qu'elle va visiter la villa. En fait, Anne ne compte pas acheter de maisons. Elle visite, demande à rester plusieurs heures seule pour s'imprégner des murs. Mais cela va au-delà, car aussitôt les souvenirs affluent, la nostalgie d'un passé - une enfance née avec la guerre, des parents éteints, absents, déjà partis... De son père mort, Anne a hérité une montre dont le tic-tac réveille des émotions assoupies et sonne un rappel vers le passé entouré de secrets, également. Ce sont ces résurgences, embriquées à l'instant présent, qui ponctuent cette histoire.Il y a cette belle citation : "L'esprit des murs ressemble parfois à un miroir imaginaire où vacille le reflet éteint du passé". Elle résume en gros l'esprit du livre, elle aussi. "La petite trotteuse" est un roman intimiste, avis aux amateurs. L'ambiance est ouatée, sucrée, pleine d'arcances, de pas feutrés,de suppositions, de questions et de longues interrogations sur la personnalité d'un père, d'une mère et de soi-même au milieu de ces spectres. Ceci est un beau roman qui me passionne, tout personnellement. Il correspond à ce genre que j'affectionne...Extrait :" Je n'ignorais pas que ces vieux souvenirs renfermaient ce que je cherchais, quelque chose d'impossible à admettre jusque-là, mais qui peu à peu se rapprochait de la lumière. Toutes les maisons visitées, dans lesquelles je parvenais à maîtriser ce long travail d'exploration que je refusais de faire dans le cabinet d'un psychiatre, m'aidaient d'une étrange façon. Je trouvais un réconfort à errer dans leurs murs encore habités malgré leur apparent abandon. La dernière visite serait-elle la fin de cet interminable périple ? ... "

Sabine Wespieser, 190 pages

+++ La suite ! +++



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