13 juillet 2006

Lady Oscar

Pour tous les accros de cette série qui a bercé mon enfance, il faut se procurer les deux coffrets de Lady Oscar. Plus qu'un dessin animé, c'est une fresque enlevée et rythmée d'un pan de l'Histoire de France : le règne de Louis XVI, l'étourdissante Marie-Antoinette et la révolution de 1789. Car il est bon de souligner combien le souci du détail historique a été respecté, traitant des moments clefs du règne de Louis XVI et de Marie-Antoinette avec objectivité et simplicité. L'affaire du collier, notamment, fait figure d'un épisode remarquable, sans s'enfoncer dans l'invraisemblable ou la naïveté. Plus destiné à un public averti, presque, car on suit les aventures d'Oscar François de Jarjaye avec émotion et vibration. Née femme mais parée d'une destinée d'homme par la volonté de son père, Oscar fera ses premiers pas dans la garde royale, aux côtés d'une reine toute jeune et insouciante, qui rencontre l'amour en la personne de Fersen. Un beau triangle amoureux se dessine dans la première partie, suivi des déchirements des sentiments : Oscar tiraillée entre sa condition filiale et ses troubles émotionnels, Marie-Antoinette fantasque, Fersen beau, droit et juste, et dans l'ombre, fidèle à son amie d'enfance, André, sûr, fidèle et loyal. Car la partie 2 de Lady Oscar nous plonge vers le destin implacable de tous ces protagonistes. C'est donc une série poignante, sensible, parfois drôle et touchante, romanesque et historiquement vraisemblable. Un bon bain de jouvence, un doux retour vers l'enfance. Procurez-vous les deux coffrets de Lady Oscar, c'est incontournable ! Je déplore, toutefois, le générique japonais au lieu de la mémorable chanson de Marie Dauphin... Lady, Lady Oscar.. elle est habillée comme un garçon.. tralala.

Blue Bay Palace - Nathacha Appanah Mouriquand

L'action de "Blue Bay Palace" se passe dans "un pays né du crachat brûlant d'un volcan et dont le profil a été dessiné par les tempêtes et le soleil cardinal", un endroit qui n'est pas nommé, où règne une civilisation indienne, divisée par les castes, celles des riches et des pauvres, celles des touristes et des "indigènes". Blue Bay, c'est là où habite Maya, une jeune beauté de dix-neuf ans, qui appartient à la partie presque miséreuse du pays. Mais Maya travaille au Palace pour touristes fortunés, elle est hôtesse d'accueil et surtout, elle est amoureuse de Dave, patron d'un des restaurants du Blue Bay Palace. Elle n'a que seize ans lorsqu'elle le rencontre pour la première fois, qu'elle cligne des yeux en le voyant, éblouie par le soleil et par la beauté du jeune homme. Tous deux vont s'aimer pendant deux ans, en secret. Car Dave doit épouser une autre fille, une jolie héritière de la même caste du garçon. Mais c'est un entrefilet dans le journal local qui annonce à Maya l'horrible nouvelle !

L'histoire de Maya tombe dans le chaos : poignardée au plus profond d'elle-même, blessée et malheureuse, elle ne va pas remonter à la surface. Les eaux de la jalousie et de la rancune vont l'engloutir et c'est cette "autre" qui sera sa cible. Elle qui lui a tout pris : son amour, une grande et belle maison toute blanche suréquipée, avec voiture, chauffeur, jardinier, etc. Bien entendu son amant aussi va payer, car finalement ce n'était pas cette "solaire créature" qu'elle croyait avoir rencontrée. Maya souhaitait quitter son pays, partir en Angleterre, devenir fonctionnaire et travailler dans un bureau climatisé, bref échapper à cette existence, "fuir ces murs, ce village, ce pays où les horizons se resserrent, cette mer-prison, ces chemins tortueux, ce manque d'air, cette absence d'espace". Rejoindre une contrée où "il ne faut pas se marier selon les règles" et où "on peut aimer qui on veut"... La fatalité va agripper la jeune fille car "contre le malheur qui pousse et repousse encore au même endroit, il n'y a que le poison qui est efficace. Il faut l'éliminer à la racine".
En bref, c'est beau, très bien écrit, poétique et tragique, d'une violence passionnelle et irrémédiable. Absolument irrésistible, "Blue Bay Palace" est un magnifique voyage sur une terre inconnue, dictée par des codes qui brisent des coeurs, des familles et des rêves. J'ai adoré !!!!

Continents noirs des éditions Gallimard, 96 pages

Perturbations - Gisèle Fournier

Perturbations - Gisèle Fournier
Une étrangère, Louise R., est installée depuis l'hiver dans une maison aux larges du village, dans un coin retiré, où rares sont ceux qui s'y aventurent par hasard. Un jour, Louise R. est portée disparue. Et aussitôt toutes les spéculations les plus folles courent à son sujet. Dans un fouillis narratif, plusieurs personnages interviennent : Matthieu, épieur obsessionnel, son épouse Constance, jalouse, silencieuse et malheureuse, forcément, mais aussi le facteur, le cafetier, le propriétaire de la maison, etc. Tous s'y mettent, tous commentent à leur tour, car tous ont épié, suspecté, mitonné leurs petites versions personnelles mais personne ne dit rien. Et donc l'ambiance au village devient lourde, intense et vicieuse.
J'ai une nouvelle fois beaucoup apprécié lire ce roman de Gisèle Fournier, après avoir déjà lu "Non-dits", son premier livre. L'auteur a beaucoup de talent à préserver les secrets, faire planer les doutes et traduire les tourments de chacun en quelques pages. Ce condensé de rumeurs illustre ces sales atmosphères de villages reculés aux mentalités étriquées. Suite à un banal fait divers, les esprits s'échauffent et "Perturbations" en raconte tous les rouages sournoisement et efficacement.

Mercure de France, 114 pages

Mo - Marie Hélène Lafon

Mo - Marie Hélène Lafon
Mo est un fils à maman, du moins il vit auprès de sa mère, désormais veuve, il a trente-trois ans, célibataire, il s'occupe de tout dans le petit appartement. Même aux yeux de sa mère, c'est presque une honte de voir un homme s'occuper des tâches ménagères comme il fait ! Pourtant, Mo s'applique, il aime récurer, ranger, soigner les pieds de la mère, laquelle souffre et se plaint tout le temps. Elle a perdu un fils aîné, Mohammed, et a souhaité nommer le dernier né de la même façon, pour pallier le manque, mais selon ses dires, Mo n'est pas à la hauteur. C'est un homme solitaire, taciturne ou renfrogné. Il travaille au centre où il rencontre Maria, vendeuse à la ronde des pains. Fasciné par la jeune femme, il l'épie, la guette, s'émerveille et rêve à de belles histoires. Mais en réalité, les jours sont pluvieux, les gens se querellent et la famille est oppressante.

C'est un peu le thème du roman de Marie-Hélène Lafon : la famille, les liens noueux et les rapports haine/amour entre les membres. A un moment, un personnage déclare : "les mères voulaient faire pitié aux enfants pour les garder avec elles, elles n'avaient pas le droit, les enfants n'avaient rien demandé aux mères, eux". Les liens entre le fils et la mère sont complexes, l'auteur rode autour de l'idée, n'entre pas dans les détails à coup de références psychologiques mais sa façon feutrée, pudique et également crue rend le portrait réaliste et poignant. Mo est le personnage central, difficilement attachant mais non plus haïssable. Il a sa vie à lui, rythmée comme sur du papier à musique. Sa vision à lui est carrée, et il semble difficile pour Mo d'encaisser les colères. Il en a trop bavé et a trop contenu ses sentiments. Au final, cette lecture touche droit au coeur, elle est loin d'être mièvre ou misérable, mais elle est sensible à sa manière et la fin est saisissante ! A lire.

Buchet Chastel, 147 pages

Je t'aime beaucoup - Gabrielle Ciam

Je t'aime beaucoup - Gabrielle Ciam
Ce livre peut se prendre comme un plaidoyer contre l'homme et son incapacité à comprendre la femme, aussi bien sa compagne, sa maîtresse, son grand amour, ou tout le reste... Car entre la narratrice et cet homme beaucoup plus âgé, présentateur de la télévision, il n'y a aucun doute sur la maturité de l'un et l'autre. La femme est gagnante ! Même à dix-sept ans, lors de sa première rencontre avec lui, la jeune fille va décider elle-même du tournant de son existence, suivre les pas de cet homme qu'elle sait/devine indispensable pour les années à venir. Trois ans seront accordés à ce couple inégal, dans lequel l'un aime éperdument l'autre et accoure dès qu'il siffle, alors que celui-ci la bafoue dans des hôtels minables, la voit entre-deux, au-delà de sa vie maritale...

Non, ce n'est pas une banale histoire d'adultère, ni de romance à la Lolita. Car dans "Je t'aime beaucoup", la narratrice fait un travail d'introspection. Vingt-cinq ans ont passé quand elle revoit cet ancien amant, par hasard, elle l'aborde, prend un verre, se souvient du passé... Un ange passe, "quelque chose bouge en elle, un long ressac qui vient de loin, de profond" et réveille des souvenirs éteints. Entre l'émerveillement de la première fois, les désirs assouvis instantanément, la solitude, la colère, la méprise ou la jalousie... la narratrice aura plus d'une fois de la difficulté d'apposer le nom sur ... quoi ? cette histoire, liaison ou aventure ?..
C'est beau et simple. Gabrielle Ciam écrit sans tralalas, elle parle des histoires d'amour qui ont vécu, bouleversé les êtres mais "où va l'amour quand on n'aime plus?". Le roman tente d'y apporter une réponse, du moins une clairvoyance. Mais ces anciens amants se trouveront-ils en face ? Quand l'un dit : "Je t'aime beaucoup", et l'autre répond : "Tu sais, le beaucoup est de trop pour une femme de plus de quarante ans!"... on sourit, eh oui ! C'est le grand drame actuel : les hommes et les femmes ne se comprennent pas !

Arléa, 94 pages

Derrière le paravent - Caroline Pascal

Derrière le paravent - Caroline Pascal
Quand Benoît annonce à sa famille qu'il se marie, c'est le soulagement général chez ces catholiques pratiquants et bourgeois, aux sacro-saintes veillées de Noël chez l'oncle René dans son château en Normandie... Pourquoi un tel soulagement chez les Chaussain ? Car à trente ans, ce fils de bonne famille est un dépressif chronique et sa relation avec l'américaine Ann de Lanster se boit comme du petit lait. Longtemps parents, oncles et tantes se sont souciés pour lui, donc cette noce pascale est l'occasion de boucler la boucle. Presque.

Car dans les romans qui traitent des secrets de famille on s'attend bien entendu à débusquer des cadavres dans les placards ! Avec "Derrière le paravent" on s'étonne de la tournure des événements. Alors que la première partie est très lisse, proprette et très convenue, la deuxième partie "lâche les chiens" ! Les masques tombent - entre la mère qui boit du martini à longueur de journée, le père qui ne dit mot en fumant ses pipes immondes, l'oncle René pompeux et sirupeux... Au-delà de toutes convenances, il y a forcément simulacre et Caroline Pascal le prouve une nouvelle fois. Après "Fixés sous verre", elle creuse davantage les façades soignées qui se fissurent chez tout être respectable. Tout n'est qu'apparence, car "derrière le paravent" le rouge monte aux joues (honte ou colère, à choisir) ! Bref, un roman plaisant, cuit au bain-marie, avec une écriture volontairement ampoulée.

Plon, 214 pages

Ensemble, c'est tout

Ensemble, c'est tout - sort enfin en poche !

C'est chez J'ai Lu que le roman d'Anna Gavalda sort en format poche - dès le 3 octobre. Pour le prix raisonnable de 8.00 euros !
Dire qu'il a fallu attendre plus d'un an pour ça ! A la base, Ensemble, c'est tout est paru chez Le Dilettante en mars 2004 - pour le prix de 22 euros ! Le roman est donc sorti, a rencontré un formidable succès et les plus avides des lecteurs d'Anna Gavalda ont mis la main au porte-feuille ! Le bouche-à-oreille aidant, le livre a gagné du terrain et conquis de nouveaux lecteurs (??? - du moins, je pense).
Amère facture ? Non !!! Ce roman est un bonbon qu'on déguste avec délectation ! C'est l'histoire de quatre éclopés de la vie, qui vont apprendre à vivre ensemble, et former ainsi une tribu solidaire, bien plus fort qu'une famille - ils vont s'aimer, se serrer les coudes, être là - "ensemble, c'est tout" ! J'avais lu ce livre dès sa sortie et j'avais été dithyrambique à son sujet * ! Quand certains s'écriaient devant l'épaisseur du roman, avant même de l'ouvrir, j'ai clamé haut et fort que ces 600 pages étaient finalement bien peu ! Ce livre se dévore, s'avale en grandes goulées. C'est une lecture agréable sur la plage, certes, mais cela offre également un plaisir cotonneux pour l'hiver ! Ce livre parle d'amour, d'amitié, de la vie. C'est plus qu'une simple histoire pour romantique patentée, c'est un conte des temps modernes !

* "Ensemble, c'est tout" c'est l'histoire d'une "fée fragile, d'un chouan désarmé, d'un garçon taillé dans l'échine, d'une vieille dame couverte de bleus". Camille l'ange, Philibert le bon Samaritain, Franck l'écorché vif et Paulette la mémé au coeur tendre. Chacun nous touche, nous émeut. Ils nous livrent un magnifique spectacle de la vie, une comédie douce-amère où on se retient de pleurer (de joie). Alors, tout le temps : Camille dessine, Franck râle, Philibert bégaye et Paulette tombe. Les bleus à l'âme de ces quatre-là ont trouvé leur pommade !

Dieu a égaré mon numéro de téléphone

Dieu a égaré mon numéro de téléphone - Patricia Reznikov
Un jour, Hope, trentenaire parisienne, décide d'avaler le philtre d'amour qu'elle destinait à son ancien compagnon qui vient de la quitter. Effet secondaire ou pas, Hope perd le sommeil. Les jours vont passer, sans le passage du marchand de sable. Après avoir reçu un coup de fil inquiétant de son frère Arthur depuis New-York, elle décide de le rejoindre. Celui-ci affirme entrer en discussion avec des personnages illustres, comme Sitting Bull, George Washington, Mark Twain ou Edith Wharton. Cela fait des semaines qu'il est sous l'emprise envoûtante d'un transformiste, le dénommé Zaboldo.

Quel étrange univers ! "Dieu a égaré mon numéro de téléphone" est du n'importe quoi littéraire ! Mais c'est original, donc intéressant. Patricia Reznikov semble ainsi s'influencer d'un héritage de Kafka jumelé à Lewis Carroll. C'est tiré par les cheveux. Au départ, Hope, la parisienne insomniaque, commence à entendre les voix des gens endormis. Puis elle atterrit dans des théâtres de magie, des spectacles éclatants et burlesques. Ses rencontres sont sur la même lancée fantastique : un clône préraphaélite, une bête des bois, une vieille dame aux cheveux rouges, poète et linguiste émérite... Sans le savoir, elle va aussi découvrir un passé sur son père qu'elle ne soupçonnait pas. En bref, des phénomènes de foire et surnaturels jalonnent ce roman - c'est complexe, inédit en son genre et séduisant. Mais quelques longueurs d'épisodes farfelus alourdissent la bonne tonalité et l'innocence initiales - c'est juste un peu plombant.

Mercure de France, 206 pages

Carla on my mind - Cyril Montana

Carla on my mind - Cyril Montana
Une nouvelle fois, pas facile d'entrer dans l'histoire de Cyril Montana - on y saute à pieds joints et, instantanément, on se sent largué. Tout comme le héros débonnaire et réfractaire de ce roman. Un jeune parisien, tout ce qu'il y a de plus contemporain et caractéristique à son époque. Débauché et déprimé, speedé et floué, il sort d'une relation mal décatie. La source de son mal : Carla, "moitié beur, moitié italienne. Des grands yeux noirs, un charme incroyable et une tendance très nette à vouloir masquer sa féminité". Ces deux-là s'aiment, mais mal. Leur relation connaît des hauts et des bas, surtout des bas. Et cette fois-ci, la rupture semble franche et durable. Or, pas facile d'avaler la pilule et de consommer l'absence de sa dulcinée. Donc, pour tenter de l'effacer de son disque dur, il entreprend plusieurs magouilles, dont s'inscrire à un club de rencontres sur internet. Mais les cyber-liaisons sont autant d'épisodes cocasses et saugrenus qui peuplent la série de déconfitures de plus en plus envahissantes. Que ce soit au boulot, avec sa colocataire ou au coeur du métro parisien, le jeune narrateur rame sec. Même s'il s'échine à voler des vélos, il n'en sort pas moins qu'il pédale dans la semoule !

Pour la grande littérature, on repassera. "Carla on my mind" équivaut à du pur divertissement, avec un langage et un style très modernes, une tonalité à faire jeune et branché envers et contre tout. Les séquences sexe et drogues côtoient les épisodes d'amertume et déconfiture, à croire que ce soit indissociable. C'est juste ce que je trouve reprochable : la tendance trop facile à parler cru. Pourtant, comme pour "Malabar trip", j'aime beaucoup, je trouve que la lecture est agréable, plaisante et drôle, malgré tout.

Le dilettante, 156 pages

Cette nuit là - Issabelle Minière

Cette nuit là - Isabelle Minière
D'entrée de jeu, en tant que lecteur, on se sent apostrophé par le procédé narratif de ce roman : on nous donne du " Tu " de bout en bout du roman. Grande audace ! En fait l'auteur use cette forme pour interpeller l'héroïne, Lisa, victime d'un mari violent. Car Lisa est mariée à Clément, un homme charmant, aux boucles dorées, un homme très intelligent, aimé et respecté de tous. Un homme irréprochable. Sauf que cet homme-là a deux faces : un côté pile pour la ville, et un côté face pour son foyer. Clément n'est plus Clément, il devient un individu au regard noir, qui jette des éclairs et annonce l'orage. Un homme redoutable. Qui ne lève pas la main sur Lisa, non. Sa perversion va plus loin : il use des mots, il retourne les accusations, il insinue que c'est sa faute à elle, qu'elle le rend aggressif par sa faute. Lui est juste un peu coléreux. Sans plus. Alors, Lisa ? Coupable, responsable, victime consentante ?..

Isabelle Minière en dénoue tous les rouages, livre une spirale infernale. L'homme marié ne peut disposer de son épouse comme d'un objet. Abuser d'elle sans son consentement. C'est voler. C'est violer ! L'auteur fait mouche en déployant l'esprit retors du pervers contre la vulnérabilité de la jeune femme. Se taire, c'est consentir. La coupable, c'est elle. Elle ne peut priver d'un père à son enfant. Etc...
"Cette nuit-là" est remarquable : la mécanique de la manipulation mentale est saisissante d'effroi. C'est écoeurant, mais hélas si réel. Cette lecture est dérangeante, certes, mais ça existe. Et pis voilà.

Le Dilettante, 124 pages

Porte de la paix céleste - Shan Sa

Porte de la paix céleste - Shan Sa
L'histoire, ou plutôt le drame, d'Ayamei est d'être née à une époque troublée en Chine communiste. Née en 1968, elle a été élevée par une grand-mère, dont les pieds bandés la faisaient souffrir, alors que ses parents étaient envoyés dans un centre de rééducation. Ayamei a grandi dans la solitude jusqu'au jour où son chemin croise Min, un camarade d'école, avec qui elle va nouer une amitié fusionnelle. Cette amitié ne sera pas aux goûts des adultes, Ayamei et Min ne doivent plus se voir, se tenir séparés pour toujours !
Cette déchirure a façonné le parcours de la jeune étudiante, on le comprend, quand on la croise la première fois sur la place de la Paix Céleste (ou Tian an men), durant la nuit du massacre des étudiants contestataires au régime communiste. Apparaît alors un autre personnage clef du roman : Zhao le lieutenant chargé de partir à la recherche de la "criminelle" en fuite, dans un village de pêcheurs, dans la forêt... La jeune fille est insaisissable, le soldat la traque, lit son journal d'adolescente et les quelques feuilles qu'elle sème à tout vent; sans doute découvre-t-il une facette nouvelle, une perspective différente du conditionnement chinois, seule la toute fin du roman le dira !..
"Porte de la Paix céleste" est un roman riche, passionnant, qui commence sur un fait historique que l'auteur s'empare à peine. Shan Sa dévie son sujet, se fixe l'objectif de tracer un portrait en parrallèle de deux êtres que tout oppose et que le destin doit forcer à rencontrer. L'écriture est belle, influencée par la poésie, la description des chansons, des hymnes à la nature, aux légendes et transcende ainsi le personnage d'Ayamei, car comme dit la mère de la jeune fille, c'est "un oiseau indomptable qui mourrait si on l'enfermait". Un petit oiseau qui déploie ses ailes et laisse le souvenir fugace d'un esprit de toute beauté !

Folio, 146 pages

La bulle de Tiepolo - Philippe Delerm

La bulle de Tiepolo - Philippe Delerm
Dans une brocante parisienne, un homme puis une femme s'attardent autour d'un même tableau signé par le peintre Sandro Rossini. C'est la jeune femme qui en fait l'acquisition, l'italienne Ornella Malese. Rossini est son grand-père inconnu, que toute la famille a semblé renier. Le secret autour de ce personnage semble être des plus opaques et c'est finalement en compagnie d'Antoine Stalin, l'amateur de peintures italiennes, que la jeune écrivain, accessoirement enseignante, part sur les traces de son passé. Sur des sentiers parrallèles, Antoine rencontre un tableau de Tiepolo - El Mundo Nuevo - en relation avec le travail sur Vuillard qu'il cherche à accomplir, et il découvre ainsi le mystère d'une bulle qui reflète la vérité sur des pistes de lecture dans la vie de tout mortel.

Car dans "La bulle de Tiepolo" Philippe Delerm a mis en scène deux solitaires, Antoine et Ornella, qui unissent leurs errances respectives pour aller au devant des hantises du passé. Antoine a perdu sa femme et sa petite fille, Ornella combat le silence familial qui entoure leur héritage. Depuis le début jusqu'à la toute dernière phrase, que j'ai absolument vénérée, j'étais charmée, éblouie, conquise. Delerm n'est ni pédant ni redondant, il raconte une enquête des origines, via la passion de l'écriture et la peinture, et règle ainsi quelques comptes sur les succès d'estime qui partent en vrille et deviennent "phénomènes de foire", comme ce fut le cas pour sa "Première gorgée de bière". Il pond aussi quelques petites perles définissant justement la perception de toute création - "Cerner les métaphores secrètes d'une oeuvre, non pour l'expliquer, mais pour ouvrir des pistes de lecture, des rencontres possibles avec les questionnements les plus intimes des spectateurs, qu'on voit toujours de dos". Et concernant ce nouveau roman, le lecteur y retrouve toutes ces émotions et cette poésie simplissime, mais efficace. Un moment de lecture captivant et ensorcelant, dans les rues vénitiennes - détail non négligeable !

Gallimard, 119 pages

Vu - Serge Joncour

Dans "un petit village où il fait beau, l'avenue de l'église bordée de ses ombres, deux ou trois vues sur la fontaine qui glougloute, des accoudés qui trinquent sous les parasols anisés, la représentation même de la sérénité", vit une famille anodine dans un lieu-dit proche du trou paumé en rase campagne. Il y a le père, la mère, les trois enfants, sans oublier l'immortelle grand-mère dans son fauteuil roulant. En fait, cette famille a tout de la caricature des Bidochons - ce sont des gens simples, démunis, à la modeste ambition de paraître en une des journaux ! Et c'est pourtant vrai qu'ils les collectionnent, les unes. Ils sont mine de rien les champions involontaires des grabuges. La légende commence lorsqu'un boing se crashe dans le jardin, la carcasse devenant un aimant à touristes, "un genre de menhir qui n'avait pas la mérite des siècles". S'ensuit une série de guignes monstrueuses, mais finalement drôles pour le lecteur (je vous invite à lire ce livre pour en savourer les détails !).

Ce qui est décrispant dans "Vu" c'est la constante légèreté, l'absence d'effusions, de pathétisme ou de misérabilisme qu'on accole trop souvent aux gens de peu. Il y a un refus de se prendre au sérieux, aucun état d'âme (l'épisode du cochon l'atteste). Au début, en ouvrant le premier chapitre, j'étais décontenancée par la nonchalance du style du narrateur, mais en approfondissant on découvre davantage : "un rendu proche du pathétique, un lyrisme feutré d'un manque de vocabulaire, devenu encore plus poignant à cause de cela. Un style étincelant de lacunes, elliptique jusqu'à l'abscons, tout ce qui caractérise la naïveté docile des puissants illettrés". Et pour se jeter lui-même des roses, le narrateur ajoute : "un talent de plume, certes pas suffisant pour les académies, mais parfaitement adéquat pour témoigner, non pas de nos petites misères comme ils le font tous, mais de nos petits arrangements avec l'ennui". Forcément le charme opère, ces Bidochons de Serge Joncour sont trop délirants pour ne pas aller à leur rencontre et accepter "une petite mousse". Et si d'aventure vous croisez en chemin l'Ampoule, autrement dit le journaliste Jérôme Marchetout, il vous expliquera, lui ...

Folio, 192 pages

11 juillet 2006

Claire Castillon

J'ai découvert Claire Castillon par la lecture de ce roman et j'avoue avoir été séduite sur le champ. J'ai trouvé qu'elle avait une manière très particulière de traiter ses sujets : elle mêle la puérilité à la dérision, le martyr à la jouissance... Bref on hésite souvent à savoir si ces personnages se font souffrir par plaisir, si leurs douleurs sont des caprices ou des peines sincères. C'est donc tout un embroglio qui est épatant ! L'héroïne de "Je prends racine" n'est pas une version française de Bridget Jones, non ! C'est une pauvre fille pathétique à qui il n'arrive que des déveines, mais on ne peut s'empêcher de sourire car on se demande si franchement elle ne les cherche pas ou ne les provoque pas un peu ! C'est tout un jeu de remise en question sur la sincérité et la perversité qui est drôle. Claire Castillon est une jeune femme au grand talent !

J'ai donc suivi mes lectures de Claire Castillon avec "Le grenier" qui exacerbe les passions : est-ce un roman ragoûtant, dans l'air du temps, touchant ou désespéré ? Bref, ouvrez ce livre et prenez la confession de son héroïne telle qu'elle vous convient. Une chose est sûre : l'indifférence n'est pas au rendez-vous ! Qu'on soit ému ou éberlué, on se pose des questions sur la folie latente de la jeune femme. Doit-on tout absorber de l'être aimé pour obtenir de lui son amour absolu, son retour au bercail et sa fidélité à tout jamais ? C'est certainement excessif mais c'est une volonté de taper du poing sur la table. A la manière d'une gamine prête à bouder : regardez-moi, je m'éteins à petits feux ! L'auto-destruction de la jeune amoureuse frôle très souvent l'insensé et l'inconscience, mais est-ce après tout une façon de moraliser ce roman ? Je ne crois pas que Claire Castillon tenait spécialement à engendrer un tolé moralisateur sur la psychopathie de son héroïne. Après tout, elle met en scène une jeune femme fragile, écorchée et qui se bousille pour mieux se sentir vivre. Bon, c'est une approche tordue et détournée... mais c'est percutant et ça touche le lecteur, donc je crois que c'est signe d'un potentiel littéraire ! A suivre ...

Bon, "La Reine Claude" est le roman qui m'a le moins emballée dans ce qu'a publié Claire Castillon jusqu'à présent. J'étais déçue. Sans doute mon attente était trop grande, puisque j'avais de plus en plus apprécié l'auteur au fur et à mesure que je lisais ses romans. Dans "La Reine Claude" j'ai trouvé que c'était brouillon, confus et presque noir. Proche de la mélancolie et du désespoir. Cette fois-ci, ça semblait terriblement réel. Je n'avais pas l'illusion du second degré, de la subtilité moqueuse qu'elle usait auparavant. Je me suis sentie happée par cette marmelade, la lettre d'une amoureuse pour son homme, présentateur célèbre de tv, qui est atteint d'une tumeur au cerveau. Une lettre d'amour pour un homme qui abuse de son charme télévisuel, ce qui fait souffrir en silence la jeune femme, etc. Bref là j'ai moins adhéré et j'ai été déçue. Sentiment trop proche de la noirceur, d'une descente vers les abîmes, et sensation d'une confusion générale du début à la fin. Bref ... Après ce roman, Claire Castillon quittait les éditions Anne Carrière pour signer chez Fayard où elle produira l'excellentissime "Pourquoi tu m'aimes pas?" !

Comme toujours chez Claire Castillon, le style est cruel, jamais pathétique, les personnages sont des êtres vicieux, mais jamais tordus. Ici, le héros est donc vicieux, cruel, intelligent.. bref une tête à claque très attachante. Pour lui, l'amour coule de source. Couvé par sa mère depuis son enfance, il n'accepte pas d'être bafoué par son père et décide de se venger. Mine de rien. Pris dans l'engrenage, il va grandir en croyant pour acquis l'amour d'une jeune fille, qui bien sûr ne l'aime pas. Mais pour notre héros, c'est impensable... Un roman dérisoire, cruel mais assez drôle ! Qu'on aime ou pas, ça vaut le coup d'oeil !

"Vous parler d'elle", c'est parler d'une jeune fille sans nom, qui parle d'elle à la première personne. C'est une enfant qui se réfugie sous le toit de sa maison, sous le toit de son enfance. De là, elle se cache et guette les bruits dans la maison. Et tour à tour elle va dégainer une litanie de souvenirs, de désordres réels ou imaginaires, de songes, de désespoirs. Bref, on ne sait plus trop si l'on est dans le vrai ou l'irréel. C'est ça le problème. Cette jeune fille parle de sa famille : une maman chérie qui travaille à la pharmacie, en habit de bourgeoise et les ongles peints de vernis. Un papa que sa soeur et elle se disputent l'amour absolu. Un petit frère qui souffre d'une paralysie du palais et ne peut plus parler pendant des années. Et puis il y a aussi les amours, essentiellement le Menteur. Et de cet homme, elle souhaiterait s'en débarrasser, régler ses comptes et se montrer la plus forte.C'est bizarre, à la fois bouleversant et dérangeant. L'univers de Claire Castillon est bizarroïde, on s'aime trop fort, on se venge par coups bas et on se déteste à vie. On ne pardonne rien, jamais, et puis on s'en veut, on supplie d'être pardonné, en rampant. C'est proche de la perversion, mais c'est écrit en toute innocence. Comme si on n'y pouvait rien et qu'il fallait s'en excuser.En somme ce roman, c'est la libération de cette narratrice de ses vieux démons, ses "pouilleries" comme elle dit. Elle les dépose, s'en débarrasse. Trop contente car ils l'habitent depuis trop longtemps. Et trop, c'est trop. Au lecteur, donc, de s'en saisir et de les prendre, les porter, mais ça ne leur ira pas car ce sont celles d'une autre. Evidemment.

Elle est moi - Vincent de Swarte

Vincent de Swarte est un personnage de roman - il est écrivain, il a quarante ans et il est marié depuis dix ans à Anne. Depuis le premier jour de leur rencontre, c'est clair qu'ils s'adorent. C'est fusionnel entre eux, c'est la symbolique du mythe de Platon (la complémentarité de deux êtres). Est-ce la suite logique ? Car sorti d'une violente crise d'urticaire, Vincent se réveille avec le sexe d'une femme ! Toute la panoplie féminine le pare : les sautes d'humeur, les menstruations, le besoin de tendresse et le côté lunaire.

Faut-il être un homme pour imaginer de pareilles choses ? A un passage, Vincent émet la théorie que toutes les petites filles cherchent à uriner comme un garçon, c'est un comportement classique, dixit Freud. Pourtant, autour de lui, personne n'a eu cette lubie ! Et bien non, on naît femme, on le reste et c'est tout. Si demain je me "mute" en homme, je ne l'aurais pas cherché ! J'ai trouvé ce texte complétement délirant, mais un peu trop. Au démarrage, Vincent est un bon gars sympathique, amoureux romantique, drôle et pataud. Sa mutation rend progressivement la lecture plus exagérée, la fraîcheur du début est larguée ! Dommage, j'étais pétrie de bons sentiments pour ce couple moderne, dont l'existence paraîssait si vraisemblable. Je crois que Vincent a trop voulu accepter la part féminine cachée en lui, mais c'est une pilule amère à digérer. Son parcours pour "accepter" cette transition est longue, très longue, carrément trop longue; j'ai zappé vers la fin - c'est franchement regrettable.

Denoel, 204 pages

Commentaires

bien vu !:)mais as tu ri ? moi au debut j'etais pliée !
Ecrit par : yansor 02 septembre 2005
Moi aussi j'ai bien rigolé au début ! Mais après... :-( .. bof, bof... Dommage !
Ecrit par : Clarabel 02 septembre 2005
chère Clarabel, le thème de la transformation en littérature n'a rien de délirant, c'est même un grand classique. Relisez la mythologie (tirésais); Orlando de Wolf, Seraphita de Balzacdocteur Jekyl et mister Hide, Dracula, Frankenstein,Wil Self, Le sein de philip Roth, Kafka, etc.. Je m'arrête là.QUant à ma part féminine, elle n'a sens que pour conjurer chez moi une tendance macho assez développée....A part ça j'aime bien votre siteSUr la photo, vous ressemblez à Marylin Monroe....Bien à vous, vincent de swarte
Ecrit par : viencent de swarte 05 septembre 2005
D'abord je mets le lien pour "Seraphita" de Balzac pour les intéressés :http://cristofg.free.fr/Balzac%20Honor%E9/S%E9raphita.htm
Ecrit par : Clarabel 05 septembre 2005
Ensuite, bonjour et merci pour votre intervention !... J'espère n'avoir pas été trop revêche sur votre livre et je ne tiens pas à vous vexer ! Bon, en fait, j'aimais beaucoup le début du livre et j'étais tellement accrochée à cette bulle que plouf d'un coup.. j'ai reçu une gifle de déception ! Je vous en aurais presque voulu de m'avoir larguée en route !.. Quand j'emploie le mot "délirant", ce n'était pas péjoratif. J'évoquais la pêche qui ressortait, surtout au début ! Le personnage de Vincent est franchement drôle etc.. J'aimais bien son caractère et je pensais qu'il allait pouvoir mieux "gérer" la situation, mais honnêtement je reconnais que c'est une métamorphose assez / carrément flippante ! blurp. Et j'avais déjà lu "Seraphita" de Balzac, mais voulez-vous savoir ?.. j'en ai le souvenir d'un livre d'horreur !!!???! .. je dois y replonger pour pointer le doigt sur ce qui m'a marquée à ce point-là !!!! Au moins, votre livre m'a fait sourire - avant de râler, oups. Bien amicalement & merci pour vos compliments !!! Surtout revenez me rendre visite !! ça fait plaisir !!! ;-p
Ecrit par : Clarabel 05 septembre 2005
clarabel; c'est toi sur la photo ? moi aussi j'ai cru que c'etait MM :)
Ecrit par : yansor 05 septembre 2005
Je suis morte de rire !Je vous confirme qu'il s'agit bien de Maryline sur la photo, c'est un de mes avatars ailleurs aussi.Clara est brune, mais certainement aussi jolie !;o)Ensuite tu as sorti les pagaies Clara pour répondre à Monsieur de Swarte :o)))Je te taquine, je connais ton honnêteté foncière, et Tatiana avait déjà fait un très joli commentaire, beaucoup plus enthousiaste, de Elle et moi qui m'avait déjà à l'époque (Avril) fait noter ce titre. Pas encore lu par contre, mais ma curiosité est bien piquée, pour le coup.
Ecrit par : Cuné 05 septembre 2005
... Oui c'est bien Marilyn - j'adore trop !!!... et oui je suis brune / disons rouquine... hihihi..... merci cuné !.. en effet: rame rame la petite !.. pff..
Ecrit par : Clarabel 05 septembre 2005
Chère Marylin ClarabelPas vexé pour un sou, je suis ouvert aux critiques, étant moi-même très critique avec moi ....et les autresA bientôtV. deswarte
Ecrit par : vincent de swarte 14 septembre 2005
Et bien c'est tant mieux pour tous les deux !!! :-DEt puis je lirai d'autres livres de vous - faut pas croire !!! ;-)Au plaisir !..
Ecrit par : Clarabel 15 septembre 2005

Ensemble, c'est tout - Anna Gavalda

C'est chez J'ai Lu que le roman d'Anna Gavalda sort en format poche - dès le 3 octobre. Pour le prix raisonnable de 8.00 euros !

Dire qu'il a fallu attendre plus d'un an pour ça ! A la base, Ensemble, c'est tout est paru chez Le Dilettante en mars 2004 - pour le prix de 22 euros ! Le roman est donc sorti, a rencontré un formidable succès et les plus avides des lecteurs d'Anna Gavalda ont mis la main au porte-feuille ! Le bouche-à-oreille aidant, le livre a gagné du terrain et conquis de nouveaux lecteurs (??? - du moins, je pense).

Amère facture ? Non !!! Ce roman est un bonbon qu'on déguste avec délectation ! C'est l'histoire de quatre éclopés de la vie, qui vont apprendre à vivre ensemble, et former ainsi une tribu solidaire, bien plus fort qu'une famille - ils vont s'aimer, se serrer les coudes, être là - "ensemble, c'est tout" ! J'avais lu ce livre dès sa sortie et j'avais été dithyrambique à son sujet * ! Quand certains s'écriaient devant l'épaisseur du roman, avant même de l'ouvrir, j'ai clamé haut et fort que ces 600 pages étaient finalement bien peu ! Ce livre se dévore, s'avale en grandes goulées. C'est une lecture agréable sur la plage, certes, mais cela offre également un plaisir cotonneux pour l'hiver ! Ce livre parle d'amour, d'amitié, de la vie. C'est plus qu'une simple histoire pour romantique patentée, c'est un conte des temps modernes !

* "Ensemble, c'est tout" c'est l'histoire d'une "fée fragile, d'un chouan désarmé, d'un garçon taillé dans l'échine, d'une vieille dame couverte de bleus". Camille l'ange, Philibert le bon Samaritain, Franck l'écorché vif et Paulette la mémé au coeur tendre. Chacun nous touche, nous émeut. Ils nous livrent un magnifique spectacle de la vie, une comédie douce-amère où on se retient de pleurer (de joie). Alors, tout le temps : Camille dessine, Franck râle, Philibert bégaye et Paulette tombe. Les bleus à l'âme de ces quatre-là ont trouvé leur pommade !

Petite révision du ciel

Vincent quitte son job et son épouse parfaite, Gisèle, après dix ans de bons et loyaux services. Notre homme a décidé de mettre sa vie en stand-by et d'y réfléchir un peu. Passés les trois premiers mois de la rupture, Gisèle a enfin digéré la pilule et lui adresse une lettre d'adieu. Lui va s'isoler dans un petit appartement pour faire le point : sa relation idyllique avec la première femme de sa vie, son ascension professionnelle, son enfance auprès de parents qui semblent n'avoir pas désiré sa venue, ses amis, sa collègue Jenny et surtout Sophie, une jeune femme qu'il rencontre un soir au cinéma et avec laquelle il passe une nuit torride, sans penser à rappeler les jours suivants, mais au moins bien peser l'affaire, ultérieurement. En bref, et en courts chapitres, qui rappellent à la fin un principe mathématique qui jalonne son parcours introspectif, Vincent est un homme d'une trentenaine d'années, intelligent et clairvoyant, en bute avec lui-même. Le roman d'Elisa Brune offre un portrait de toute transparence, révélant les failles des relations amoureuses, comment une épouse parfaite peut finalement paralyser son compagnon. Dix années qui aboutissent dans le mur. Pourquoi, comment... Vincent ne cherche pas à comprendre, un peu à expliquer, essentiellement à ressasser. Personnellement j'ai apprécié ! J'ai lu de bout en bout ce roman en me délectant des théorèmes philosophiques ou mathématiques sur des éléments ordinaires de la vie - sociale, professionnelle et amoureuse. Ecrit par une femme, dans la peau d'un narrateur masculin, ce roman est brillant. Ponctué aussi de quelques touches érotiques, c'est un livre qu'on trouve par hasard dans sa bibliothèque. J'avais déjà lu d'Elisa Brune un roman qui s'appelle La tentation d'Edouard mais je l'avais trouvé un peu trop emphasé. Par contre je suis complètement charmée par "Petite révision du ciel". Après recherches, j'ai découvert qu'il existait une "suite" avec Vincent - "Les Jupiters chauds". Il me tarde donc d'en savoir plus ! Avant de conclure, j'ai aussi trouvé une similitude dans ce roman avec les premiers livres d' Alain de Botton.

Xavier Houssin

16, rue d'Avelghem

Quel merveilleux écrivain, ce Xavier Houssin ! Déjà j'étais sous le charme avec "La ballade de Lola", premier roman bouleversant sur la disparition d'une fillette sur le chemin d'école. Avec "16 rue d'Avelghem" l'auteur renoue avec la sensibilité. Suite à la destruction du quartier de son enfance, le narrateur fait revivre cette maison d'un quartier de Roubaix, là où ses parents et leurs nombreux enfants ont emménagé jusqu'à la fin. La fin d'une vie, merveilleusement et à juste dose racontée. Beaucoup de pudeur, d'émotion fine. En des phrases courtes, presque lancées à la mitraillette, l'histoire découle son tapis rouge et met en scène un couple de gens ordinaires dans un quartier des corons près des usines de textile. C'est tout un pan de vie, toute une époque qui revoit jour. La vie de cette famille, les Lapierre, est bouleversante par ses petits riens et ses ordinaires qui font un grand tout. On tourne les pages, avide de connaître davantage de leurs vies. Les joies, les peines, les doutes, les peurs.C'est très beau. C'est hélas très court mais ce livre s'inscrit dans la lignée des beaux petits romans inoubliables. A saisir !

Buchet Chastel, 153 pages

La ballade de Lola

Trop court mais chargé d'émotion brute, "La ballade de Lola" donne la parole à un papa dont la petite fille a brutalement disparu sur le chemin de l'école. Un matin, comme ça... Sans traces, sans indices, sans témoins. Une petite fille de neuf ans disparaît de la vie de ceux qui l'aiment à moins de deux cents mètres du domicile.
Sous forme d'une marelle, ce père retrace son désir d'enfant, la naissance de la petite Lola et les années qui ont suivi jusqu'à ce matin maudit et tragique. Laissant seuls deux parents inconsolables, mortifiés et forcément qui vont se déchirer.
Xavier Houssin nous dépeint avec une très grande justesse la douleur d'un père, le chagrin des parents qui perdent un enfant soudainement, et puis le silence, l'attente, l'envie de comprendre et d'accuser. "La ballade de Lola" est un petit roman de seulement 75 pages qui déverse une émotion foudroyante. Comment se relever d'une telle détresse, d'un tel désarroi ?..C'est beau et grave. D'une effroyable justesse. "La ballade de Lola" laisse une trace indélébile chez le lecteur.

Buchet Chastel, 75 pages !...

Méfie toi des fruits - Anna Rozen

Elle (sans prénom, laquelle tâche nécessite près de vingt pages pour planter le décor !) a un mari, un amant et un ex. Elle souhaite avoir un enfant avec l'amant, au grand dam de l'ex et dans le dos du mari. Elle rêve d'une osmose idyllique entre son amant, son homme et tous ceux qui comptent dans sa vie. Difficile !.. S'ajoute également un électron libre, Louis, le correspondant sans visage, qu'elle refuse de rencontrer. Car elle est l'esclave de ses désirs, fulgurants, omniprésents et envahissants !

Bref, cela donne un joyeux melting-pot et un mélange savoureux et très original sur la théorie du Prince Charmant. Oui, tout ça pour ça - en conclusion. La fin est plus qu'hâtive, c'est franchement décevant. Jusqu'alors le roman était pétillant, donnait un ton fantasque et neuf. L'idée autour de prince charmant inexistant n'est pas nouvelle, mais Anna Rozen avait réussi à la présenter de manière différente, un rien excentrique. J'étais étonnament charmée par son bric-à-brac d'histoire, de romance, de nota bene de l'auteur herself, et des gens autour. C'était nouveau et pourtant la fin a un goût de va-que-je-te-pousse-vers-la-sortie. Dommage.

J'ai lu.

Camping - Abdelkader Djemaï

Le jeune narrateur de "Camping", âgé de 11 ans, serait-il son auteur, Abdelkader Djemaï ? Cela n'a pas d'importance si oui ou non, finalement... Car dans ce roman, c'est l'histoire d'un souvenir d'enfance, de ses premières vacances au camping de La Marmite à Salamane, avec ses parents, ses deux soeurs. Un camping "zéro étoile", fait de bric et de broc, haut en couleurs, où l'on y rencontre un panel de personnalités fort originales : un garçon du même âge, Kinder Bueno, sa grand-mère fortunée dont le commerce florissant se terre sous sa tente, le gardien du camping, les pompiers, le vendeur de beignets, et aussi Yasmina, le coup de foudre, le premier amour ! En un été, le jeune garçon porte son regard amusé et lucide sur ses comparses. Au loin gronde la rumeur des futures élections, annonciatrices de grands chamboulements, mais pour l'heure c'est le mois de juillet, c'est l'été... Soleil, mer et indolence sont au programme. Dans un an, c'est promis, toute la famille du garçon reviendra au camping - mais l'ambiance aura changé...
Petit livre, 120 pages, trop court mais drôle, touchant, attachant.

"Camping" est un pan du quotidien de l'Algérie, avant l'heure des religieux extrêmistes. Avant le chaos. Cet été est un moment de calme, de douceur, de clins d'oeil aux familles qui profitent de leurs vacances, avec leurs maigres moyens, avec leurs bidons d'huile, un foulard ou un journal sur la tête, la pudeur en plus de ne pas baigner cuisses et poitrines dans la mer... Vu par un enfant, ce portrait est beau et indulgent. Un peu nostalgique aussi, avant "l'été de cendres" (comme le conclue l'auteur). NB : Un livre du même nom est d'ailleurs paru cinq ans avant celui-ci.

Abdelkader Djemaï

Ceux d'à côté - Laurent Mauvignier

Claire et Catherine étaient voisines de palier, elles sont devenues amies, très proches et grandes confidentes. Puis, Claire a rencontré Sylvain et tous trois ont continué leur petit bonhomme de chemin, coudes serrés et nez au vent. Et puis, un jour, Claire est suivie par un inconnu jusque chez elle et se fait violer. Catherine, à côté, n'a rien entendu. Elle s'en veut mais tente aussi de redonner courage et espoir à son amie qui décide de déménager. Catherine constate ainsi le vide immense qui se recrée, qui la noie à nouveau. Trop, c'est trop. Plutôt tout, n'importe quoi.., que délaissée, abandonné - seule.Troisième roman de Laurent Mauvignier, qui ne brode pas dans la dentelle, son histoire est centrée autour du thème de la solitude où découlent souvent l'amertume, l'aigreur et la violence compulsive. On le constate à suivre cet homme - en fait l'agresseur de Claire. Il a beau se défendre, ce n'est pas sa faute, il n'empêche qu'il est malade. Que c'est un violeur !J'admire l'auteur d'avoir su si bien se mettre dans la peau de ce dernier, aussi bien que dans celle de Catherine, l'étudiante en musique, terriblement solitaire. C'est une histoire assez sombre, tranchante et affligeante, racontée par deux regards. Le constat de la solitude est immense, creuse un vide chez les personnages et terrasse leurs histoires, envahit le roman du début jusqu'à la fin. Les quelques pointes d'humour faites par Catherine tentent vainement de sauver la narration, mais le mal est là, ancré, déjà. C'est terriblement lourd, pesant et j'ai souhaité en finir très vite. Pourtant le style a de l'élégance et porte la garantie d'un grand potentiel. A suivre...

156 pages --- Début du roman ICI sur Amazon ! ---

Mentir vrai - Gisèle Fournier

Jeanne rencontre dans la rue la perfide Anne, une amie qui ne lui veut pas du bien en lui racontant certaines choses sur Simon, son ancien compagnon. Cet homme, Jeanne l'avait rencontré chez Anne et avait été à la fois séduite par lui tout en se sentant menacée. Effectivement, sa relation avec lui, même si elle a su lui apporter quelques bases reposantes, a vite viré vers de vieilles angoisses et des cauchemars de l'enfance qui se sont réveillés.Le mensonge dans le roman de Gisèle Fournier est édulcoré, malaxé et amadoué. Mentir pour polir, poncer, arrondir les angles. C'est ainsi que conçoit les choses, Simon. Mais Jeanne, trop meurtrie d'avoir gardé le silence pour arranger la vérité, accepte difficilement de partager sa vie avec lui. De la sorte. Alors, au prix de gros efforts, malgré l'amour, elle apprend à le quitter, en dépit du passé qui reflue. Sur un ton grave, presque dans l'urgence, au bord de la folie, Jeanne sauve sa peau. Beau roman, dans la lignée des histoires imaginées par son auteur, même si les passages sur l'oncle auraient mérité d'être plus creusés.

Mercure de France, 136 pages

Lu aussi par Amandine : Clic !

Le musée du silence - Yôko Ogawa

Cela ressemble à un conte avec les personnages principaux simplement nommés par leur fonction : la vieille dame, la jeune fille, le jardinier, la femme de ménage et le narrateur, un muséographe qui débarque avec son maigre bagage dans ce village isolé. Il est fraîchement embauché pour tenir le rôle de celui qui va organiser le projet ambitieux de la vieille dame, à savoir "Le Musée du Silence". Dans ce lieu, en fait, la vieille dame, acariâtre et autoritaire, a décidé de consigner et d'exposer tous les objets qui concernent tous les morts du village. Mais plutôt d'un héritage dans les normes, d'un don confié par les proches parents, la vieille dame s'est toujours appliquée à prendre elle-même l'objet qui caractérise le défunt. Cela ressemble à du dépouillage, mais la vieille dame s'emporte et avance sa propre théorie sur les liens sacrés des objets à leurs propriétaires. Bref, le muséographe, d'abord maladroit et mal à l'aise, va prendre part à ce "trafic" et s'échiner à sa tâche. Entre-temps, des événements saugrenus arrivent, comme des meurtres en série, une explosion terroriste, des lettres sans réponse ou un Prédicateur du silence mystérieux...

Les personnages sont à l'image du roman : étranges, suspects et ambigus. Il y a une ambiance de froid, par l'hiver persistant, et de moiteur, par l'été soudain et étouffant. Puis, il y a l'atmosphère surréelle de ce village, de ses habitants et des morts en cascade. A cela, l'idée de "dépouiller des morts" tend résolument à étiqueter cette histoire de macabre et morbide. Mais tout reste "à la surface", l'histoire manque un peu de profondeur et surtout de chaleur. J'avais déjà lu "Hôtel Iris" de Yoko Ogawa et j'avais été charmée par son écriture lumineuse. Ici, la magie n'est pas la même. Cela reste étrangement attirant, mais un rien pêche pour ravir complètement. Sombre, austère et lugubre sont plutôt les mots clés de ce "Musée du Silence". Un peu décevant.

316 pages, Babel (poche).

Quelques sources :
Orient Extrême
Littérature japonaise
La revue des ressources
Avoir-Alire

Susan Minot

Extase - Susan Minot

Le point le plus interpellant du roman, sans conteste, est cette scène unique d'un homme et d'une femme dans une chambre, lui allongé sur le dos, le regard vague, elle la bouche collée à son entre-jambe... Et la scène de se dérouler du début à la fin, en quelques 160 pages ! Une prouesse ! Pourtant ce roman de Susan Minot n'est pas un livre érotique, loin de là. Certes il se gratine quelques détails "sexuels" mais qui tournent évasivement autour de cette (longue) fellation, histoire que le lecteur n'oublie pas le décor ! Ensuite, c'est une histore somme toute banale : un homme et une femme viennent de se retrouver, il ont été amants par le passé mais leur liaison a capoté. Lui vivait avec une autre, et elle exigeait de plus en plus d'exclusivité. Leur histoire s'est soldée de hauts et de bas et chaque réconciliation s'est conclue au lit ! Pour le coup actuel, lui vit séparé de cette Vanessa depuis plusieurs mois, elle s'en doute un peu, mais ce qu'elle ne sait pas c'est qu'il ira la retrouver après, comme toutes les autres fois.

Alternativement l'auteur fait partager les pensées de Benjamin et Kay. Ils sont tous deux plongés dans le flot de leurs réflexions, et nullement à leur affaire ! Pour l'expliquer, l'auteur laisse entendre qu'il est préférable d'avoir la tête ailleurs pour rester concentré ! C'est comique, mine de rien ! Mais aussi pathétique, car quand Kay défile le film de son aventure avec Benjamin, c'est une parade misérable de promesses non tenues, de lendemains tristounets, de solitude et d'isolement. Et quand elle croyait s'en être détachée, c'est plus fort qu'elle, ce type, elle l'a dans la peau ! Alors que pour Benjamin, homme bouffi d'auto-suffisance, il se rend compte combien il n'a jamais cessé d'aimer Vanessa, sa compagne depuis onze ans ! Pour Kay, les choses semblent être différentes : plus de l'affection, à la limite de la pitié, presque de la fatalité !Aaaahh ! les hommes sont inconstants ! "Les hommes et les femmes ne sont pas foncièrement différents dans leurs attentes, mais quand même... Ce sont leurs attitudes qui diffèrent. " Susan Minot souligne le cruel paradoxe entre l'homme et la femme, leurs façons respectives d'appréhender toute relation humaine et l'acte sexuel. C'est effarant, certes dérangeant par instants, mais c'est bien écrit, bien pensé.

(Susan Minot est entrée en littérature à 30 ans avec Mouflets. Ce premier roman, traduit en douze langues et qui lui valut le Prix Femina étranger 1987, évoquait avec une tendresse pudique les moments forts, sans doute autobiographiques, d'une enfance américaine dans une famille nombreuse. L'écrivain a ensuite exploré divers registres dans les nouvelles de Sensualité, l'intrigue romanesque de La Vie secrète de Lilian Eliot, le bilan d'une vie de Crépuscule, où elle entrecroisait avec virtuosité plusieurs thèmes autour du temps qui passe et du bonheur évanoui.)

Crépuscule - Susan Minot

En presque 350 pages, Susan Minot fouille les mémoires de son personnage, Ann, mourante d'un cancer à seulement une soixante d'années. Des pensées confuses et alimentées par la fièvre de sa maladie, Ann hallucine, bredouille, rêve.. Elle replonge en juillet 1952, quelques jours dans sa jeunesse, pour le mariage de son amie Lila. A cette occasion, le petit groupe d'amis dont elle faisait partie se retrouve dans le Maine, à rire, compter fleurette et cultiver l'insouciance. Elle y fait la rencontre d'Harris Arden - différent du reste. De cet amour, Ann n'en guérira jamais car seuls deux ou trois jours ont soldé cette amourette. Pourtant elle marquera à vie ! En dépit du temps, des maris, des enfants et de la maladie !

J'ai souvent considéré Susan Minot comme l'héritière de Sylvia Plath et Laurie Colwin. Un regard vif, une plume sèche mais enlevée, des histoires simplettes avec toujours une profondeur d'âme chez les héroïnes... Souvent l'introspection donne de l'eau au moulin et dans le cas de "Crépuscule" le procédé est assez bien mené, même s'il peut déconcerter certains lecteurs. La narration n'est jamais linéaire, les voyages dans le temps incessants. Les souvenirs de 52 ont un peu une image fitzgeraldienne, donc assez plaisante et batifoleuse. Pourtant il y a un drame derrière cette palissade. On le découvre vers la fin, évidemment. Par contre, j'ai moyennement apprécié la référence à "Wuthering Heights" d'Emily Brontë, lorsque Ann s'exclame "Harris, c'était moi" - j'avais le goût du sacro-saint "I am Heathcliff". Bof ! Seul point négatif, et aussi un sentiment de quelques longueurs. Sans quoi, ce roman se lit de bout en bout avec plaisir !

La vie secrète de Lilian Eliot - Susan Minot

Avec ce roman, Susan Minot m'a fait instinctivement penser à Edith Wharton et Henry James ! L'histoire débute à Boston, en 1917, chez une famille bourgeoise, les Eliot. La jeune Lilian, réputée sérieuse et raisonnable, fait la connaissance de Walter Vail, un new-yorkais en visite chez des proches. Il doit partir en Europe pour la guerre mais promet à la jeune fille de lui écrire et lui revenir. Car tous deux se sont découverts, lui a fait palpiter le coeur de la jeune fille, elle vit le reste de ses jours dans l'attente de son retour. Lequel ne viendra jamais ! Walter est resté en France... dit-on. D'abord le coeur brisé, Lilian va apprendre à tourner la page et s'unir à Gilbert Finch, un garçon silencieux et mélancolique. Mais Walter Vail n'est jamais très loin !..

La trame de "La vie secrète de Lilian Eliot" repose sur les mêmes schémas jamesiens et whartoniens - une rencontre entre un séducteur et une jouvencelle, une séparation et des élans du coeur que des centaines de pages tentent d'apaiser ! Susan Minot se fait ce plaisir, surtout au début. Car j'ai trouvé que vers le milieu du roman (qui correspond à la seconde partie) l'histoire va s'alourdir et perdre de cette influence (qui rejaillira vers la fin, ouf!). Toutefois, contrairement à H. James et E. Wharton, Susan Minot n'a pas du tout cultivé l'ironie et le cynisme, non plus d'humour. Tout est au premier degré, exaltant et divagant. Lilian aime, se tait, souffre, pleure (?). Gilbert est son pansement, pour le meilleur et pour le pire. Walter est la figure vile et prédatrice, autour d'eux la petite société bostonienne du début du 20ème siècle, pincée et raffinée, guindée et constipée... bref un délice !

355 pages

Vie amoureuse - Zeruya Shalev

En rencontrant Arieh, l'ami de son père, qui a deux fois son âge, Ya'ara ignore encore qu'elle va bousiller sa vie en laissant libre cours à son attirance, son envie de lui. Séduite, elle guette un signe, un geste pour se jeter à corps perdu dans cette relation incohérente. Elle perd pied, elle néglige tout : son mari, sa famille, sa carrière, son amour propre... C'est le portrait d'une femme, amoureuse ?.. Plutôt indécise, attachée, intriguée et envoûtée. Sa passion pour cet homme, imparfait et grossier, est destructrice, mais Ya'ara le veut, lui et personne d'autre.Je dois avouer que la seconde moitié du roman m'a complètement échappé. J'ai été agacée par les choix de Ya'ara que je trouvais inconsistante et inconséquente. Entre ses résolutions et ses actes, il n'y a pas de lien. La jeune femme suit son coeur - j'hésite ? Elle suit un besoin irrépressible, répond à une absurdité de son désir. Elle-même ignore pourquoi elle est si contradictoire. Dans le fond, en approchant cet homme, elle se rapproche de ses parents, qu'elle saisit mal. Elle croit ainsi comprendre qu'ils lui cachent quelque chose. Mais avant de le découvrir, Ya'ara va s'user les nerfs, et honnêtement les nôtres avec, car sa valse d'hésitation et son manque de rigueur agacent. Pourtant, l'auteur sauve son histoire grâce à son écriture, parfaitement maîtrisée, saisie au plus juste, trouvant le bon mot au bon moment, apportant une grâce au plus grotesque, plus graveleux des apparences ! Ce livre n'est sans doute pas le meilleur de Zeruya Shalev mais garantit son potentiel !

Traduit de l'hébreu. 350 pages.

Comment vivre après un attentat ? par Zeruya Shalev

Gordon - Edith Templeton

Londres, 1946 : Louisa, vingt-huit ans, rencontre dans un bar un homme aux yeux gris qu'elle va suivre chez lui, dans sa maison, où elle deviendra son amante brutalement sur le banc du jardin. Au cours des mois qui vont suivre, la liaison entre Louisa et "Gordon" va s'étirer sur le tempo sacré et incompréhensible du sexe, de la cruauté et la destruction. Ce que lui inflige cet homme est "insupportable", douloureux et en même temps il remplit la jeune femme de béatitude. Elle souffre, mais elle aime ça. Il la domine, mais elle semble se donner à plein corps, de son plein gré, "en esclavage".

Les scènes entre Louisa et Gordon ne manquent pas de perversion. C'est très choquant et révoltant. Impossible d'y comprendre goutte. Cet homme est plus âgé qu'elle, il est psychiatre et se régale à la questionner des heures sur sa chevelure (qu'elle porte longue), son passé amoureux (elle a été mariée), ou ses rêves. Louisa s'emporte, en vain car elle donne à chaque fois satisfaction. Elle plie, courbe l'échine. Il l'appelle "ma douce petite", même après l'avoir violé dans un quartier lugubre, comme si de rien n'était... Bref, c'est inqualifiable !

Ce roman d'Edith Templeton est autobiographique. Paru en 1966, il a longtemps été sous le couvert de la censure. Pas étonnant ! Il faut s'accrocher, j'ai trouvé, pour venir à bout de cette histoire. Elle est glauque, un tantinet grotesque mais fatalement fascinante : qu'est-ce qui pousse ces amants à se déchirer de la sorte ? Le rapport de sadisme est impressionnant, décrit avec minutie. Le livre apporte aussi un témoignage sur une amoureuse contentée par la violence combinée à l'acte sexuel. Toutefois, on devine qu'un tel rapport ne peut gratifier ses auteurs, lesquels sont condamnés. A quoi ? La torture, la destruction.. la mort ? Voilà un roman bien sulfureux, nébuleux et forcément dérangeant. J'affiche une mine déconfite.

244 pages, Robert Laffont

Rencontre avec l'auteur, Edith Templeton, 87 ans, misogyne et fière de l'être. (Attention, certains passages de cet article sont de nature à heurter les sensibilités féministes) : ici

La confession impudique - Junichirô Tanizaki

Un couple tente de ranimer la flamme en excitant et stimulant le jeu délicat de la jalousie. Mariés depuis plus de vingt ans, Ikuko et son époux sont tombés dans une routine, surtout que l'homme (d'une cinquantaine d'années) découvre que tout effort l'affaiblit et l'épuise considérablement. Or, la femme a des besoins insatiables, des envies jamais assouvies. Suite à une première ivresse, Ikuko perd connaissance et s'endort dans son bain ! Le mari, aidé par Kimura (préalablement prévu pour devenir le gendre idéal de leur fille, Toshiko) va vite nourrir une sensation d'exaltation en exploitant cette présence attirante. D'ailleurs, ça marche : sa femme et lui tombent en symbiose sexuelle, un stade jamais atteint depuis leur nuit de noces !

Cela peut paraître malsain et "cochon", pourtant le contenu est bien loin d'être aussi déluré ! D'abord, ce roman a été publié en 1956 et, rien que par son sujet, faisait un grand bond en avant dans le domaine érotique. Puis, l'auteur est japonais, avec toute l'implication classique et de réserve qu'on attribue à cette culture. Enfin, alors que les romans contemporains n'hésitent pas à appeler un chat "un chat", chez Tanizaki on parle de "la chose" sans jamais la nommer ! Je dois d'ailleurs avouer avoir ressenti quelque étonnement à cette narration, me demandant s'il s'agissait bien de la même "chose" à laquelle je pensais. Sans paraître pour une idiote, c'est simplement que le style, de toute beauté, est très pudique, même si son propos, paradoxalement, déballe, dévoile, "ose" !

J'ai donc beaucoup aimé - il s'agit d'une histoire de séduction éternelle, avec l'utilisation d'outils peu orthodoxes, loin de toute moralité, et qui flirte avec le péril de la "limite". L'homme et la femme écrivent tout deux des journaux, qu'ils se cachent l'un à l'autre, tout en voulant que ce soit lu ! Ambivalent jusqu'au bout, donc. Junichiro Tanizaki a pour cela une technique toute fascinante ! Tout n'est que subtilité, on parle d'ailleurs de Tanizaki comme l'écrivain de "l’empire des sens" ! Les frontières sont infimes entre la volupté, le plaisir, la jouissance et la souffrance. Adepte du mentir-vrai romanesque, Tanizaki est l'écrivain à la fois classique et excentrique, sage et subversif, exerçant sur le lecteur un irrésistible attrait. Je n'ai qu'un mot à ajouter : lisez-le !
Folio, 196 pages

Derrière le masque - Louisa May Alcott

Pas facile d'imaginer que Louisa May Alcott pouvait être l'auteur d'autres romans que son très célèbre "Les quatre filles du docteur March" !.. Pourtant, l'auteur s'est essayée à d'autres histoires moins niaises et candides, sous pseudonyme, notamment avec "Derrière le masque". Louisa May Alcott était fondue de romans noirs, de théâtre et de romances glauques. Dans ce roman, elle met en scène Jean Muir, dix-neuf ans, blonde et fragile, qui traîne sa frêle silhouette maladive chez les Coventry pour devenir gouvernante de la famille. La jeune fille et ses secrets intriguent, en opposition à la figure indolente et narquoise du jeune héritier. Toutefois dès la fin du premier chapitre l'auteur n'hésite pas à dévoiler que Jean Muir est une intriguante ! Quels desseins, quelles noirceurs, quels mystères l'auréolent ? Tout reste à découvrir.

Et effectivement cette histoire de manipulation féminine est intéressante et s'inscrit dans la grande tradition des romans noirs de la fin du 19ème siècle. Wilkie Collins est évoqué, mais "Derrière le masque" n'est pas un livre de référence, inoubliable. Sa lecture est charmante, gentillette. Le portrait du cercle bourgeois des Coventry est observé avec acuité, sans ironie, mais j'hésite à croire à une volonté de démontrer la vulnérabilité féminine qui décide de se venger de leur triste sort en la personne (symbolique) de Jean Muir ! La jeune femme garde des traits diaboliques (mais j'ai déjà remarqué que c'était une exigence chez L.M. Alcott, pour avoir lu un autre roman, "pour le meilleur et pour le pire"). "Derrière le masque" reste un roman de "second plan", pas un classique, juste une illustration légèrement floue d'une littérature de l'époque.

Joelle Losfeld, 200 pages

Plus jamais comme avant - Dani Shapiro

Family history - Dani Shapiro

Le drame que va vivre Rachel Jensen est celui silencieux et sournois de nombreuses familles, en somme. A près de quarante ans, Rachel attend son deuxième enfant. Elle est mariée à Ned, bel homme et professeur apprécié dans son collège, tout roule à merveille entre eux deux. Mais depuis un an, leur fille Kate, alors âgée de treize ans, est rentrée de colo d'une humeur maussade. Crise de l'adolescence, pronostiqueront nombreux de leurs amis et entourages. Pourtant, une spirale infernale va se déclencher : vicieuse, coulante et irréparable. C'est en se retrouvant seule dans leur foyer autrefois familial et idyllique que Rachel va revivre ses jours du passé, entrecroisés par le présent, pour tenter de comprendre et savoir pourquoi rien n'est et ne sera plus jamais comme avant.

Une gamine caractérielle peut-elle déclencher autant de cataclysmes ? "Un mensonge... Pour Kate, c'était sans doute peu de chose, un truc qu'elle avait laissé échapper, enfermée dans le bureau de son psychiatre comme dans un cocon dont elle croyait que rien ne sortirait. Une gamine de de quatorze ans songe-t-elle aux conséquences ? Pour elle, c'était une façon d'expérimenter une idée, de relâcher le garrot de culpabilité et de honte qui lui serrait la gorge. Alors que nos vies volaient en éclats tout autour de nous, je reconnaissais en elle l'enfant, complètement inconscient du mal qu'il fait." Cette histoire de famille est plus celle d'un drame de faits-divers triste et invraisemblable. Il y a des points agaçants, des envies de refaire le monde et réécrire les chapitres. Pourtant, comme dit l'un des personnages en cours de roman, c'est difficile d'être parents, d'élever un enfant. Cette histoire montre combien les choses peuvent facilement nous échapper, faire boule de neige. Frappant, ahurissant et compatissant, le roman de Dani Shapiro baigne parfois dans une théâtralité facile, plus clémente si elle avait été un peu arrondie. C'est une lecture facile, inquiétante et où le lecteur se pose beaucoup de questions. L'histoire se met en place lentement, attisant la curiosité bien forcément. Plaisant de bout en bout, malgré les petits défauts d'une fin toute américaine !

320 pages ** ce roman est paru chez France Loisirs sous le titre "plus jamais comme avant" **

Site de l'auteur : Dani Shapiro

La villa des mystères - Federico Andahazi

C'est l'histoire d'une génèse, oui. Aussi bien celle de "Frankenstein" mais surtout du moins connu et plus ténébreux "Le Vampire" de Polidori. Ce dernier est, dans ce roman de Federico Andahazi, encore jeune secrétaire de Byron, poète "maudit" et sulfureux, exilé d'Angleterre dans cette villa au bord du lac Léman. Entre ces quatre murs, se trouvent aussi réunis Mary et Percy Shelley, et Claire Clairmont, assez pâlotte et souffreteuse. Il faut dire que les événements se passant dans cette villa sont d'ordre orgiaque. Au point de davantage penser à une ambiance érotique, plus que de science-fiction !Bref, Polidori, présenté comme un personnage assez maladivement jaloux, complexé et haineux, va recevoir des lettres d'une certaine Annette Legrand qui lui propose un bien étrange contrat. Polidori, opportuniste et désespéré, va sauter sur l'occasion pour prouver à l'assemblée de ses hôtes (pour lui, arrogants) qu'il est tout autant capable de répondre au défi lancé par Byron - écrire une histoire "épouvantable".La lecture de "La villa des mystères" est surprenante tant elle se "dévore". D'autre part, ce sens de "dévorer un livre" prend une signification "particulière" dans l'histoire. Purement fictive, mais palpitante, angoissante, ahurissante et exaltante. La conclusion du roman offre aussi un agréable et saisissant épilogue. Très bonne lecture, donc.

Une relation dangereuse - Douglas Kennedy

En mission au Moyen-Orient, Sally rencontre Tony. Elle est reporter au Boston Post, il est journaliste au Chronicle. Elle est pétillante, il est charmeur. Elle est célibataire, lui aussi. Ce qui doit arriver arrive : coup de foudre. Mais Sally ignore que le rêve va virer au cauchemar. Et que le pire viendra de celui qu'elle pensait pourtant bien connaître, son mari...
Honte à moi et je ne doute pas que l'opprobre général va s'abattre sur moi quand les fidèles lecteurs de Douglas Kennedy vont découvrir mon commentaire ! Car j'ai lâché le livre, pas moyen de m'y faire ! Je n'aime pas. D'emblée, j'ai un méchant goût de démarrage à la Barbara Cartland, quand les deux personnages se rencontrent en territoire houleux, bousculé et "trépidant". Je dois dire que ce n'est franchement pas ma tasse de thé ! Cela me laisse déconfite car c'était là le premier roman de cet auteur que j'essayais de lire. Alors, mauvaise pioche ? Ou ce genre de lecture ne serait-il pile poil pas pour moi ? Je penche pour la deuxième solution.

L'une est l'autre - Daniel Sada

Pour l'histoire, rien de sensationnel : Gloria et Concepcion, "des calques effrayants", entretiennent l'illusion d'une seule et unique fiancée, "celle de ses rêves", à un pauvre diable de ranchero carrément niais ! Moi j'ai surtout beaucoup apprécié la présentation des personnages, je ne sais pas si le terme "loufoque" convient le mieux, mais j'apprécie la volonté d'humour, de dérision et d'ironie dans le texte. Le narrateur s'amuse, il n'a pas sa langue dans sa poche, il se permet d'intervenir, de présenter la situation, de s'accaparer les protagonistes et les mettre sous son aile. Il est à la fois tendre et moqueur ! C'est clair que le personnage d'Oscar offre à l'auteur un véritable défouloir : c'est le comble de la goguenardise par excellence ! Le type hâbleur, "parfumé jusqu'à la nausée, costumé de vert et la raie partageant le crâne" !!! On voit d'ici la scène ! On se tord de rire.

Bah oui, j'ai beaucoup ricané à la lecture de "L'une est l'autre". J'ai trouvé une fraîcheur et une tonalité pétillante, certes le texte s'agrémente de quelques lourdeurs gonflantes, notamment une entrée en matière un peu longuette et rasante. Mais cette histoire est perfide à souhait, je pense que c'est ce qui m'a enthousiamée. Il y a d'abord le couple des soeurs, des conspiratrices en mal de sensations amoureuses, l'une double l'autre, et l'autre endort son double pour mieux atteindre l'harmonie entre elles. J'ai notamment aimé les résumer à "l'argutie féminine" - subtiles et pleines de finesse ! Un autre personnage très attachant : la tante ! Elle les pousse à se trouver un mari et les inonde de lettres, dont l'une d'elles porte en gros cette exclamation : "Mariez-vous sans délai, espèces de demeurées" ! La palme d'or pourrait revenir au prétendant, Oscar, qui offre au lecteur une perle en formule ampoulée pour la demande en mariage : " Je vous demande votre main pour cheminer ensemble vers l'autel ". En bref, beaucoup de cocasserie, de burlesque et de gouaillerie dans ce livre ! J'ai passé un agréable moment.

Les allusifs, 120 pages

Une mère amoureuse - Judy Feiffer

C'est l'histoire d'une île, Pequod, au large du Massachussets. C'est celle aussi d'un trio, la belle Claire et ses chevaliers servants, les cousins Hurley, Finn et Joe. C'est un destin à la Cosette, quand Claire a passé son enfance à fouiller les décharges pour se vêtir et se nourrir, à danser et chanter dans la rue pour glaner quelques dollars. C'est enfin la rencontre avec deux amoureux transis qui se concrétise par un pacte avec le diable : Claire épouse Finn, amant éperdu de la belle, qui est amourachée de Joe, lequel voue une loyauté paralysante pour son cousin... Alors Finn conclue de marier Claire qui fréquentera à sa guise Joe, balayant ainsi toute jalousie dans leur rapport triangulaire.

Evidemment, cette combinaison est très fragile et délicate. Nul ne peut parer aux failles, ni même Joely, l'enfant de Claire et Finn. "Une mère amoureuse" est un roman un peu exalté sur une femme trop romantique et passionnelle, plus amante que maman. D'ailleurs sa fille est plus une confidente qu'une enfant ! On peut ainsi juger sévèrement le comportement de Claire qui pense que sourire suffit à séduire et ça fait tourner le monde. Mais son charme provoque des ravages au-delà des élans du coeur, des je-t'aime-moi-non-plus etc.Joely raconte l'histoire de ses parents et de Joe Hurley, pour lequel son coeur bat aujourd'hui. Cela paraît insensé ? Oui, je l'accorde. Ce roman s'emballe un peu trop et son histoire frôle les limites de l'exubérance plus d'une fois !

Quai Voltaire, 159 pages

Le manuscrit de Jonah Boyd - David Leavitt

Californie, 1969, repas de Thanksgiving chez le couple Wright où sont conviés l'écrivain Jonah Boyd et son épouse Anne. Boyd dévoile les premières pages de son nouveau roman, rédigé dans des petits carnets qu'il a la fâcheuse tendance d'égarer. Ce soir-là, d'ailleurs, c'est la dernière fois qu'ils apparaissent. Dès le lendemain, plus de traces du manuscrit !

La mésaventure de Jonah Boyd, associée au sort des Wright et d'Anne Boyd, est narrée par la secrétaire d'Ernest Wright - Judith "Denny" Denham, trente ans à l'époque, célibataire enrobée et transparente, qui sert un peu de faire-valoir à la maîtresse de maison, Nancy. C'est elle, la spectatrice, la dépositaire de tous les secrets, confidences, révélations, etc. Il y a un avant ET un après. Le récit de Denny ne laisse rien de côté, jusqu'à mener elle-même une enquête de plus en plus effarante.Le sort des carnets n'est qu'un fil rouge dans ce roman. J'ai trouvé qu'il s'agissait plus d'une chronique d'une famille américaine installée dans un quartier réservé au personnel de l'université de Wellspring, Californie. La fabuleuse maison qu'habite les Wright est également au coeur du sujet. Elle nourrira les ambitions des uns et des autres. D'un autre côté l'histoire de ce "manuscrit perdu" révèle également la mécanique de la création littéraire, les espoirs, les désillusions et les rêves insensés pour décrocher la timbale. Au sein de la famille Wright, le jeune Ben tente de percer dans l'édition, devenir d'abord poète, puis écrivain reconnu. Sa soif de reconnaissance est à la fois avide et désespérante.

Mais plus que le portrait de cette famille, Denny rend vie à une époque - 1969 et années 70. Elle met aussi en avant son statut de "secrétaire", personnage de l'ombre diantrement efficace, le rouage indispensable du moteur. Mais avec le recul qu'elle s'est imposée (soit trente ans pour revenir sur ce repas de 69) Denny semble plus maligne qu'on ne le pense. Finaude, réfléchie, intriguante... elle semble avoir oeuvré dans les coulisses pour parvenir à son but. Quel est-il ? Il faut le lire pour le savoir ! Car ce roman, construit avec brio, tient en haleine et pousse son lecteur à connaître la suite. Pas mal du tout, à lire pour découvrir.
270 pages

Hôtel Iris - Yôko Ogawa

L'histoire est celle d'une rencontre entre un homme âgé et une fille toute jeune. C'est par un soir de presque été que tout commence, un esclandre éclate à l'Hôtel Iris entre une prostituée et son client dont seule "la résonnance de l'injonction" va frapper et obséder la jeune Mari, à la réception de cette maison tenue par sa mère. Cet homme, âgé et silencieux, va donner à la jeune fille le tournis : elle va le suivre, l'épier et se laisser aborder. Traducteur d'un roman russe, il vit au large d'une petite île, loin de toute civilisation, avec l'auréole de quelques scandales courant à son sujet, dont la mort suspecte de sa première épouse... Qu'importe pour Mari, elle se jette à coeur et corps perdus dans une relation qui lui donnera du plaisir en même temps que de la douleur.

Relation malsaine, où le rapport de domination se dispute la préférence à celui de la soumission, Mari et le traducteur vivent dans une bulle, loin de l'attitude conventionnelle édictée par la mère de la jeune fille, s'échinant à lui coiffer ses beaux cheveux noirs en un chignon impeccable, imbibé d'huile de camélia. Poupée fragile sous une cloche de verre, Mari tente de comprendre son attirance pour le traducteur : "Plus la chair au service de laquelle je suis est laide, mieux c'est. Cela me permet de me sentir vraiment misérable. Lorsqu'on me brutalise, lorsque je ne suis plus qu'un bloc de chair, naît enfin au fond de moi une onde de pur plaisir.". "Hôtel Iris" n'est pas juste un roman autour d'un rapport SM, l'écriture lumineuse de Yôko Ogawa transporte le récit au-delà des marges de la vulgarité et du graveleux. Au contraire, l'auteur a pris le parti de faire jour sur la personnalité troublante et ambivalente de la jeune Mari, dix-sept ans. Pour l'histoire d'amour, par contre, on repassera...

En poche, J'ai lu, 158 pages

Portrait de classe - Tobias Wolf

En ouvrant "Portrait de classe", on plonge instantanément dans l'ambiance décalée d'un pensionnat ultra-chic de la Nouvelle Angleterre, début des années 60. Au bout de la plume, le narrateur, en sixième année d'étude en cet automne 1960, livre une histoire introspective, sur cette année particulière. Alors étudiant boursier, un parmi tous ces étudiants arrogants, cordiaux, cultivant la nonchalance calculée, chérissant la littérature et l'écriture, au point d'organiser des concours pour rencontrer des auteurs. Or, ces concours exacerbent certaines passions, brouillent l'esprit de création, reléguée après l'esprit de compétition, de secrets, de combines, de non-dits, etc.

On aimerait penser à un ersatz du "Cercle des poètes disparus", ces jeunes soumis au code de l'Honneur, confinés à réussir, travailler, étudier, être le meilleur. Mais dans "Portrait de classe", ce groupuscule d'étudiants imbus d'eux-mêmes vivent au grand jour cette ivresse pour la création littéraire. Au fil de l'année, les auteurs interviennent : le poète Robert Frost, la sulfureuse et féministe Ayn Rand, et l'éminent Hemingway. A chaque fois, le narrateur affûte sa plume, aspirant à obtenir l'honneur suprême d'être l'Elu, choisi parmi tous. Ils tâtent ainsi de la muse, tombent dans la spirale de la folie, de l'insomnie, de la page blanche... bref l'esprit de création combiné à celui de compétition ne fait pas bon ménage !

"Portrait de classe", en plus de dessiner une ambiance, une éthique et des déviances, n'hésite pas à absorber le lecteur dans cet univers de création et du goût de l'écriture. L'auteur sait choisir ses mots, soigne son style, sa ponctuation, boudant le principe de signifier un dialogue parmi la narration, brouillant volontairement les pistes. Tobias Wolff a de la classe ! Son roman, malgré les trois derniers chapitres, certes nécessaires pour la rigueur de l'histoire, mais moins intéressants dans la continuité, est un livre lumineux, pétri d'intelligence, porté par un narrateur très peu humble mais bourré d'auto-suffisance, de vanité et d'orgueil. Un livre qui démontre les processus de création, la morgue estudiantine et l'inaptitude de se remettre en question. A lire, tout simplement !!!!

Plon, 212 pages

Jennifer Johnston

Ceci n'est pas un roman - Jennifer Johnston

Joli pied de nez, ce titre ! Car oui, le dernier livre de Jennifer Johnston est bel et bien un roman. Une histoire touchante d'une famille qui cache des secrets : il y a trente ans, Imogen apprenait la mort de son frère Johnny, porté disparu après être parti nager en mer. Imogen a dix-huit ans, son frère vingt. C'était un nageur émérite, d'où le refus catégorique d'Imogen de croire à cette disparition tragique. Noyé, lui ?..La jeune fille séjourne dans une clinique depuis plusieurs mois, d'abord parce qu'elle a perdu sa voix et qu'on pense à un déséquilibre mental. Pourtant elle n'est pas folle. Certes, elle pense que son frère s'est enfui et vit quelque part, caché. Et trente années vont passer, Imogen va écrire l'histoire de sa famille, fouiller dans les souvenirs, trouver des lettres d'une arrière-grand-mère qui ne s'est jamais remise de la mort de son fils pendant la guerre, lire le journal de son père, et se rappeler de cette année 1970 où tout a basculé : Johnny qui refuse de poursuivre son entraînement de natation, son ami allemand Bruno qui joue un rôle ambigu, sa mère Sylvia et la mystérieuse mais aimante Mathilde. Le roman va donc se construire comme un puzzle, on y découvre les acteurs de cette tragédie familiale jusqu'au dénouement dans les dernières pages. L'auteur prend son temps, passe du passé au présent et conclue sur un hypothétique avenir. La tournure générale est grandissime, captivante et envoûte littéralement son lecteur. Rapide et divertissant. J'avais très envie de découvrir cette auteur, je ne suis pas déçue !

Un Noël blanc - Jennifer Johnston

Constance Keating est une héroïne attendrissante par son entêtement, son cynisme et sa légèreté. Elle a quarante-cinq ans, vient de rentrer à Dublin pour y mourir en paix dans la maison de son père. Au commencement du roman, elle envoie une lettre à Jacob Weinberg, écrivain perdu dans le monde, père de sa petite fille. Elle lui demande de venir la chercher.La suite, c'est un peu la valse des souvenirs, entre l'enfance, la jeune fille qui grandit et souhaite s'émanciper, partir hors d'Irlande, devenir écrivain. En Italie, elle rencontre l'amour. Seule, elle donnera naissance à son enfant, malgré la désapprobation de sa famille. Laquelle s'étiole au fur et à mesure. Seule sa soeur Bibi se dresse aujourd'hui comme un rempart. Décidée d'envoyer sa soeur se faire soigner à l'hôpital, la houspillant de son obstination. Mais Constance est résolue, trouvant du soutien auprès de son fidèle et dévoué ami Bill, également médecin, et d'une jeune orpheline, Bridie May.Comme dans "Petite musique des adieux", j'ai retrouvé dans "Un Noël blanc" la même chaleur du cocon dans lequel une femme meurtrie s'enferme, épaulée par l'amitié d'un homme, amoureux repoussé. Constance se noie dans sa maladie, se voue à sa mort et écrit ses derniers souvenirs qui affluent. L'apparition du fantôme de sa mère complète ce kaléidoscope de la mémoire. C'est tout bonnement ardent, émouvant et vibrant. Constance est impossible et butée, mais son combat la rend si passionnante. J'ai une nouvelle fois beaucoup aimé cette lecture de Jennifer Johnston, auteur que j'affectionne définitivement. A conseiller vivement.
265 pages

Petite musique des adieux - Jennifer Johnston
Ce roman est pour moi un coup de coeur ! Je l'ai lu comme certains gobent un oeuf, pas le temps de le poser pour dormir un peu, non j'ai tenu à le lire jusqu'au bout, incapable de le lâcher ! C'est rare quand cela arrive, donc intéressant de le signaler ! J'ai franchement aimé ce roman de Jennifer Johnston, dont j'avais déjà lu et apprécié le récent "Ceci n'est pas un roman". Mais "Petite musique des adieux" est de loin plus épatant et poignant ! D'ailleurs, je lui préfère son titre original : "The gingerbread woman" dont on comprend davantage la signification en lisant l'histoire. Celle-ci se résume à ceci : une femme et un homme se rencontrent au bord d'une falaise, ils sont tous les deux au bord de la rupture. Clara a une cicatrice au ventre, Lar a la haine au creux de ses entrailles. Leurs histoires respectives ne se ressemblent pas, elles ont juste en commun de leur renvoyer une image de leur chagrin, de leur désarroi et de leur mine pathétique. Pas joli miroir, qu'on repousse, qu'on prend avec cynisme ou humour noir... Au choix. Bref, ces deux-là peuvent s'entre-aider, s'ils le veulent et s'ils y arrivent, à force d'écoutes ou de paroles.
Je ne peux dévoiler davantage des causes du chagrin des ces deux protagonistes, cela briserait le mystère et la magie du roman. Pour ma part, j'ai tourné les pages avec curiosité pour justement en savoir plus sur eux. Cela contribue à l'addiction ! S'ajoute aussi la puissance littéraire de l'auteur, puis le cadre semi-idyllique de Dublin et de l'Irlande en général. Moi, j'aime ces paysages "bucoliques" et les maisons isolées, ravagées par les coups de vent et les averses de pluie. En finissant de lire ce livre (à contre-coeur), j'ai envie de me jeter sur un roman d'Edna O'Brien ou d'Angela Huth (non, cette dernière n'est pas irlandaise, je précise). En bref, j'ai un coup de coeur et cette "Petite musique des adieux" va demeurer pour moi une très belle mélodie, "une magnifique composition à deux voix" et je souhaite encore de belles rencontres de la sorte !

Muriel Spark

Complices et comparses - Muriel Spark

Dans les années 70, Lord Lucan a défrayé les chroniques en commettant un crime horrible et prenant la fuite pour éviter son procès. Plus de vingt ans après, un homme prétendant être le fameux comte en fuite se présente au cabinet de la psychiatre Hildegard Wolf. Toutefois, un autre individu a fait la même allégation chez ce docteur. Alors, quel est donc le vrai lord Lucan ? Sont-ils complices ? Et pourquoi viennent-ils tous deux chez elle ? Hildegard aurait-elle également quelque chose à cacher ? Le chantage deviendrait-il la monnaie d'échange entre ces multiples "complices et comparses" ?
Ce roman a des fausses apparences d'enquête policière car l'exubérance de Muriel Spark prend vite le dessus sur tout faux-semblant. Nul sérieux dans le fond ! L'histoire tient peu la route (pourtant inspirée d'un véritable fait divers!) mais l'humour de M. Spark est le gage du divertissement procuré par cette lecture. "Complices et comparses" traite des fausses apparences, des roublardises et du burlesque entourant la caste des nobles de la haute bourgeoisie britannique. La fin du roman est désopilante, invraisemblable. C'est bien le propos du livre : mine de rien, il esquive toute solennité et baigne dans une excentricité toute british ! -- 200 pages
A lire : A bonne école

A bonne école - Muriel Spark
Dans son roman, Muriel Spark se moque avec allégresse des écoles privées, généralement des établissements étudiés pour accueillir la crème des étudiants fortunés, un brin oisifs, pour passer le temps à apprendre des leçons sur le "comment faire" en société ou les ateliers d'écriture ! Dans "A bonne école", le professeur de creative writing, Rowland Mahler se voit en peine d'appliquer le b.a-ba de son enseignement puisqu'il vit un véritable blocage littéraire ! Incapable d'aligner une phrase, une idée ! Son roman est au point mort. Chose encore plus cruelle : son étudiant Chris Wiley, jeune rouquin de dix-sept ans, plein d'assurance et d'insolence, le nargue avec son opulent roman historique !...
Muriel Spark est très féroce. Dans sa vision des établissements privés (celui de Sunrise, pour la présente), elle tourne en ridicule ses dirigeants, le couple Mahler, Rowland et Nina, les étudiants, fils à papa, bouffis d'orgueil et de loisirs insignifiants, les quelques employés, pour tenir le budget au plus serré, bref une petite communauté très libérée, tous solidaires et désoeuvrés. Quand le conflit éclate entre l'enseignant et l'étudiant, un conflit vicieux et sournois, chacun prend son parti : car entre Rowland et Chris l'abnégation est totale ! Effarante, même. C'est une obsession réciproque, hallucinante et imbuvable. L'épouse prend un amant, l'élève appelle au crime et l'écrivain maudit songe au massacre !...
Car également dans ce dernier roman, Muriel Spark se moque des écrivains et de leur travail de concentration (isolement dans un monastère, manuscrit sous verrous), du cauchemar de la page blanche, du plagiat, de la fantaisie romanesque etc.. Muriel Spark se régale, en tant que lecteur on le ressent ! Pourtant, son épilogue a quelque goût amer, un sentiment de fin hâtive et bâclée.
Gallimard, 168 pages

Quand l'empereur était un dieu - Julie Otsuka

En 1942, peu après l'attaque à Pearl Harbor, les Américains d'origine japonaise ont été interpellés, soupçonnés de déloyauté et parqués dans des camps pour les "surveiller". A Berkeley, une femme découvre l'avis d'évacuation n°19 - aussitôt elle rentre chez elle pour mettre sous cadenas tous ses maigres "trésors" et fait ses valises. Avec ses deux enfants, ils partent dès le lendemain vers une destination inconnue, qui sera le désert d'Utah où a été aménagé un camp avec des baraques au toit goudronné, encadré par des fils barbelés. Cette mesure, de la part des autorités américaines, reste obscure et nébuleuse pour ces Américains "à la peau jaune, aux cheveux noirs et aux yeux bridés". Obligés qu'ils sont, désormais, d'afficher d'être de fidèles et loyaux Américains, de plaider allégeance, obéissance, etc. Chez cette famille, dont le père avait déjà été emmené par des agents du FBI dans un camp au Texas, cette "concentration" est rude, injuste dans le fond, mais la rancoeur se doit d'être conservée dans le secret, ou simplement refoulée. Car le temps passe, la guerre n'en finit pas, mais même au moment de la "libération", les heures resteront dures : le retour chez soi, le sentiment d'être étrangers, d'avoir le visage de l'ennemi..."Quand l'empereur était un dieu" est un roman mais son histoire est réelle et reprend ce chapitre peu glorieux (encore un !) de l'Histoire Américaine. Le tout est narré un peu froidement et de façon impersonnelle - on parle d'un homme, d'une femme ou d'une mère, d'un garçon, d'une fille, jamais de prénom, ou alors pour des personnages de passage, très secondaires. Ce ton laconique plombe la lecture et donne un goût amer, un peu glauque et aussi poisseux que devait être l'air irrespirable du désert de l'Utah - trop poussiéreux.
Phébus, 179 pages

Les braises - Sandor Marai

Henri et Conrad se retrouvent dans le château du premier après une quarantaine d'années de séparation. Ils ont aujourd'hui soixante-quinze ans et se connaissaient depuis l'âge de dix ans, à l'école militaire. Au crépuscule de leur vie, Henri reçoit donc la lettre de cet ancien camarade qui annonce sa visite, lui qui s'était enfui sans laisser de traces. C'est donc le soir des règlements de compte, des mises à jour d'obscurs secrets et silences qui ont nourri le passé. Les souvenirs aujourd'hui se révèlent ainsi plus amers, tournés vers la rancune. Henri, désormais reclu dans sa solitude et son vieux château hongrois, a ruminé ses pensées et conçoit sa soirée telle l'heure de la vengeance ! Conrad et lui étaient d'excellents amis, certes, mais de condition sociale différente. Toutefois l'un a toujours considéré l'autre comme son égal, c'était somme toute un leurre. Conrad a longtemps été différent des autres et c'est d'ailleurs sur ce créneau qu'il s'est lié de trop près avec l'épouse d'Henri, Christine, décédée depuis quelques années.

Il s'est passé des instants troubles et opaques par le passé : une partie de chasse, un propos alambiqué, une fuite vers les tropiques et un silence plombant qui a duré quarante ans. Henri est résolument aigri, Conrad, plus crispé, hausse davantage les épaules. Dans l'art de la dissimulation, finalement, les deux hommes se valent. Christine, au milieu, a été dupée. Son carnet intime pourrait mettre à jour bien des mystères, la force de l'amitié pourra-t-elle combattre cette curiosité, l'avidité de savoir et le sentiment de lâcheté ?...

Bref, j'avoue une petite déception avec cette lecture des "Braises". J'avais été littéralement emballée par "L'héritage d'Esther" et j'escomptais retrouver une ambiance similaire dans ce livre-ci. Le passé à cheval sur le présent et l'heure du glas qui sonne pour régler les comptes sont autant de thèmes chers à l'auteur. Toutefois dans "Les braises", Sandor Marai s'embourbe trop dans les longs discours tortueux, les pérégrinations de vieillards vaniteux, orgueilleux et égoïstes, allons-y. Concernant le style de l'auteur, rien à redire : c'est classique et élégant, j'aime. Mais l'histoire m'a moyennement convaincue. Je suis un peu déçue.

Livre de poche, Biblio, 218 pages

Frankie & Johnnie - Meyer Levin

Ce roman a été publié en 1930 mais semblait être en avance sur son temps : imaginez un jeune couple d'amoureux qui se lèchent les babines à l'envie jusqu'au désir grandissant, et obsédant, de sauter le pas ! C'est mignon, un peu désuet pour aujourd'hui, mais bon... Johnnie est un garçon de vingt ans, qui emprunte la voiture de ses parents pour rouler dans les rues de la ville, se gare dans des allées sombres pour "emballer" ses petites copines. Il rencontre un jour Frankie, diminutif de Frances, la soeur de son ami Steve. Frankie est plus jeune, encore lycéenne. Elle a des rêves plein la tête, notamment d'être embrassée un jour par un garçon portant la moustache ! Elle a aussi le fantasme de sa première fois, dans une chambre aux draps blancs, et son amant qui s'agenouille près du lit pour déposer des baisers tendres sur sa bouche, et plus évidemment.

Ce qui est étonnant chez Meyer Levin, c'est cette tendance à balancer dans plusieurs camps : le naïf, l'osé, le truculent et le décalé. L'auteur souligne également les divergences entre les envies du garçon et de la fille. Celle-ci est plus rêveuse et posée, lui se soucie de son égo masculin et ralentit les projets feu-follets pour ne pas trop vite s'embarquer dans l'avenir marital. Bref, "Frankie & Johnnie" a été l'un des premiers romans de l'auteur, davantage connu pour "Crime", dit "roman culte" ! "Frankie & Johnnie" est un roman d'un autre temps, qui prête à sourire par certains aspects. Les personnages inspirent chacun des sentiments d'agacement, de tendresse ou d'ironie. Et je pense que sous son sujet réducteur des premiers émois, Meyer Levin se voulait davantage cynique ! Réédité en 1952, le roman offre ainsi deux alternatives pour la fin. J'aimais la première pour sa légèreté narquoise, mais la suivante propose une issue plus rigoureuse et tranchée. A méditer, donc.

Phébus, 169 pages

La lumière du jour - Graham Swift

Roman à manipuler avec précaution, "La lumière du jour" s'avère délicat et complexe. Basée sur un principe narratif déstructuré, l'histoire de Georges Webb, ancien flic et détective privé de son état, ressemble au principe de gigognes. On ouvre un tiroir pour en découvrir un autre, etc. Jusqu'à n'en plus finir ! Tout comme le personnage central, condamné à ne jamais finir cette enquête ouverte par Sarah Nash. Une épouse malheureuse que le mari trompe avec une jeune réfugiée croate. Mais Sarah accepte cet adultère, elle engage juste Georges Webb pour s'assurer que la jeune maîtresse quitte bien le pays...

Mais l'histoire n'est pas aussi simple, ne se résume pas en deux coups de cuillère à pot. Car Graham Swift possède un talent hors pair pour construire une trame romanesque, apparemment brouillonne, mais finalement très stucturée. L'auteur sait où il entraîne son lecteur. Son personnage, Georges Webb, divorcé, renvoyé de la police, séduit par l'élégante Sarah Marsh, fait couler l'encre de son stylo : il raconte son parcours par la fin, revenant au début, déviant à gauche, puis à droite. Progressivement on reconstitue son puzzle. De sa plume découlent blues, tristesse et nostalgie. Perte de soi-même, désarroi complet. Georges Webb est un homme perdu, lié à une enquête qui n'en finira jamais, envers et contre tout. Tous. Un beau roman dense, ingénieusement construit, sous forme bouleversante et touchante. Qui s'inscrit dans le temps ...

Gallimard, 336 pages

La jeune fille à la perle - Tracy Chevalier

Si comme moi vous avez déjà vu le film, c'est presque inutile de s'attarder au livre, l'adaptation est 100% fidèle, les mots en plus. Et là où je me posais la question sur les silences et leurs symboles dans le film, hélas le livre n'en livre pas toutes les significations ! Ce livre n'est pas décevant, mais je n'ai reçu aucune surprise, j'avais encore les images du film dans la tête, seule la fin dans le livre va plus loin. Par contre, là où j'avais été sous le charme de l'interprétation de l'actrice dans la peau de Griet, le personnage de papier, lui, m'a fortement agacée. Griet "pose". Dans tous les sens du terme. Son analyse rend finalement la lecture du roman très intéressante, on tente d'y cerner les aspects les plus complexes et obscurs (il y en a !). A la fin du livre, j'étais convaincue que Griet n'était qu'une sainte-nitouche, à la limite de l'intriguante ! Certes, Tracy Chevalier s'est seulement attachée à une version très romanesque du tableau et de l'éventuelle rencontre entre une servante et Vermeer. Dans le roman, ce dernier est affable et effacé. Colin Firth, dans le film, en imposait davantage !A lire toutes les critiques élogieuses au sujet du livre, on s'attend forcément à un grand moment de lecture, pourtant le film a déjà comblé toutes les attentes. Pour moi, c'était suffisant. Le livre, lui, est de la belle broderie sentimentale.

L'Héritage d'Esther - Sandor Marai

Je suis fatalement sous le charme ! L'écriture de Sandor Marai est d'une classe folle, d'un grand classicisme très soigné, légèrement sobre et guindée, et pourtant si délicatement intimiste, envoûtante et voluptueuse ! Pour le premier livre que je lis de cet écrivain, je suis convaincue ! Je n'en resterai pas là !

"L'héritage d'Esther" est une histoire troublante, dans une grande maison proche de la ruine, où coule des jours tranquilles l'héroïne, Esther, la cinquantaine sonnante, et qui se déclare déjà à la fin de sa vie (gloups!). Une lettre arrive d'un ancien amant, Lajos. Il annonce son arrivée, avec les enfants, et deux autres individus. Cela fait plus de vingt ans qu'il s'est évaporé ! Ancien courtisan d'Esther, il avait finalement épousé sa soeur, Vilma, et avait disparu de la circulation à la mort de celle-ci. Deux décennies plus tard, le retour de Lajos le Terrible fait frémir Esther, son frère Laci, la domestique Nounou et les loyaux amis Tibor et Endre. Chacun espère bêtement que Lajos revient régler quelques vieilles traites, éponger ses dettes et effacer les rancunes du passé mais Esther, vaguement troublée, discernera vite que l'ancien escroc n'a pas changé d'un poil !

Ce roman a été publié en 1939, l'auteur est hongrois, souvent comparé à Stefan Zweig. Mais tous ces détails m'apparaissent vains. Sandor Marai pourrait être un contemporain, un portraitiste au génie incalculable, un roman à la fois actuel et délicieusement suranné, un incontournable quoi ! Dans "L'héritage d'Esther", l'ambiance est feutrée, les nuages du passé passent et repassent, tels des volutes de fumée. Les fantômes hantent les pièces de la maison, se baladent dans le jardin fleuri, effleurent l'épaule d'Esther, laquelle se révèle une héroïne touchante et forte, mais dont la décision finale me semble totalement aberrante ! Cependant mon impression de lecture reste, dans son ensemble, un véritable enchantement !


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